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Authors: Robert Merle

Tags: #Science Fiction

Malevil (76 page)

BOOK: Malevil
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Colin, par sa tyrannie, se fit deux ennemies des deux rivales et acheva de les réconcilier. Elles se liguèrent contre lui et le criblèrent de leurs piqûres. Par malheur, elles prirent goût à ce jeu, l’étendirent au reste des compagnons, et à la mort de Colin, elles étaient devenues ingouvernables. Il me fallut beaucoup de fermeté et de patience pour désarmer nos guerrières. Je crois qu’elles nous en voulaient, au fond, de la liberté que nous leur laissions, mais qu’elles n’auraient pas supporté non plus d’en être privées. Je pense aussi qu’avec Emmanuel, une certaine image du père avait disparu, et qu’elles souffraient de cette disparition. J’appris que les trois femmes se réunissaient dans la chambre de Miette et je les y surpris, en train de pleurer et de prier au pied d’une table sur laquelle trônait, comme sur un autel, le portrait d’Emmanuel. Je ne sais si j’eus tort ou raison : je laissai faire. Et c’est elles qui, contaminant les La Roquaises, finirent par organiser ce culte du héros mort qui est presque devenu chez nous une seconde religion.

En 79, partie comme je l’ai dit, grâce à deux bonnes années de récolte, grâce aussi à l’arrangement que j’avais conclu avec La Roque, Malevil était riche, si richesse veut dire que nous avions en abondance du grain, du fourrage et des bêtes. En 79 aussi, nous n’eûmes à souffrir qu’une seule incursion de pillards, celle au cours de laquelle Colin perdit la vie. Bien que toujours résolus à la vigilance, on se consulta entre Malevil et La Roque sur ce qu’on ferait de la paix, ou plutôt des moments de paix dont nous allions peut-être jouir.

Il
y eut d’abord un débat privé entre Meyssonnier, Judith Médard et moi-même, puis un débat public qui confirma les décisions auxquelles nous étions arrivés.

La question, au fond, était celle qui s’était posée à Meyssonnier et à Emmanuel le jour où nous avions libéré La Roque de la tyrannie de Fulbert. En plus de la petite bibliothèque de Malevil, nous avions celle du château de La Roque, particulièrement bien fournie en ouvrages scientifiques, M. Lormiaux étant un ancien de Polytechnique. Est-ce que, à partir de tout le savoir qui dormait là — et de nos très modestes connaissances personnelles — nous allions nous engager dans la recherche d’outils pour faciliter notre vie et d’armes pour la défendre ? Ou bien, connaissant trop, par l’affreuse expérience que nous en avions faite, les dangers de la technologie, allions-nous mettre hors la loi une fois pour toutes le progrès scientifique et la production des machines ?

Je crois que nous aurions choisi le deuxième membre de cette alternative si nous avions pu être assurés que d’autres groupes humains, survivant en France ou dans d’autres pays, n’iraient pas choisir le premier. Car, dans ce cas, il nous paraissait évident que ces groupes, détenant sur nous une écrasante supériorité technique, concevraient aussitôt le dessein de nous asservir.

On décida donc en faveur de la science, sans aucun optimisme, sans la moindre illusion, tous bien convaincus qu’elle était bonne en soi, mais qu’elle serait toujours mésusée.

À l’Assemblée de La Roque et de Malevil, on se discuta le problème, Fabrelâtre, que La Roque avait nommé magasinier, appela notre attention sur le fait que les munitions des fusils 36 commençaient à s’épuiser, et que ces fusils ne nous serviraient plus à rien quand nous aurions tiré notre dernière cartouche. Meyssonnier fit alors observer qu’il serait sans doute possible de fabriquer de la poudre noire puisqu’il y avait dans la région une vieille mine de charbon, qu’on obtiendrait aussi du soufre puisqu’il y avait des eaux sulfurées et qu’il serait facile de recueillir du salpêtre dans nos caves et sur nos vieux murs. Quant au métal, nous en avions en quantité dans la quincaillerie de Fabrelâtre et l’ex-magasin de Colin. Restaient les problèmes de la fonderie et du sertissage, mais ils ne paraissaient pas insolubles.

En fin de compte, l’Assemblée générale de La Roque et Malevil décida, le 18 août 1980, que les recherches et les expériences pour la fabrication de balles de fusils 36 commenceraient aussitôt en priorité.

Un an s’est écoulé depuis, et je puis dire que les résultats ont dépassé à ce point notre attente que nous nous attaquons, toujours dans le domaine de la défense, à des projets beaucoup plus ambitieux. Nous pouvons donc d’ores et déjà envisager l’avenir avec confiance. Si du moins le mot « confiance » est bien celui qui convient.

{1}
Lampe à huile.

{2}
On remarquera comment Emmanuel apprend ici au lecteur, au détour d’une phrase et implicitement, le polyandrisme de Miette. (Note de Thomas.)

{3}
Il se peut que je sois — comme le prétend Emmanuel — « imperméable à l’humour », mais je ne sais pas certain que cette lettre, dans l’esprit d’Emmanuel, était tout à fait un « canular ». (Note de Thomas.)

{4}
Assemblage de mots creux dans un discours, dans un raisonnement.

{5}
Ce passage sera souvent cité dans la suite, par les La Roquais et par nous-mêmes, parfois pour étayer des thèses opposées. (Note de Thomas.)

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