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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (78 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Encyclopédie du
Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

197. LE PASSAGE DU FLEUVE

 

Les voici à nouveau devant le fleuve. Cette fois, cependant,
les fourmis ont pour elles l’atout du nombre. Elles sont une telle multitude
qu’avec des corps soudés pattes à pattes, elles sont à même de former un pont
flottant sur lequel passent des millions d’autres fourmis.

Même les escargots porteurs de braises chaudes traversent le
pont vivant sans qu’aucun ne se noie.

Parvenues sur l’autre rive, les fourmis de la grande marche
font un nouveau bivouac et 103
e
leur rapporte d’autres histoires sur
les Doigts. Dans un coin, 7
e
prend des croquis de la scène sur une
feuille tandis que, de son côté, 10
e
n’en perd pas une miette pour
sa phéromone zoologique.

 

DÉSŒUVREMENT :

Les Doigts ont un énorme problème : le désœuvrement.

Ils sont la seule espèce animale à se poser la
question : « Bon, et maintenant, qu’est-ce que je pourrais bien faire
pour m’occuper ? »

 

5
e
continue à tourner autour du campement avec
ses béquilles-brindilles. La soldate est convaincue qu’à force de marcher sur
deux pattes, son corps finira par s’adapter à cette étrange position et qu’elle
évoluera en fourmi bipède avec des caractères génétiques qu’elle transmettra à
ses enfants lorsque, elle aussi, elle prendra un jour un peu de la gelée royale
des guêpes.

24
e
est tout à la rédaction de sa saga
Les
Doigts
.

En fait, pour rédiger les derniers chapitres sur ces grands
animaux si mal connus, 24
e
attend de rencontrer les Doigts.

 

198. INDÉCISION D’UNE FEMME

 

Francine n’eut que le temps de plaquer ses mains sur sa
figure pour éviter les éclats de verre du tube cathodique. Ses lunettes avaient
protégé ses yeux et elle n’avait que des égratignures, mais elle tremblait de
peur et de colère. Les gens d’
Infra-World
avaient tenté d’assassiner
leur déesse créatrice ! Un déicide !

Lucie pansa la blonde tandis qu’Arthur auscultait les
composants derrière l’écran brisé.

— Incroyable ! Ils ont envoyé un message
informatique conçu pour tromper la reconnaissance d’écran. Ils ont modifié
l’identification de l’appareil. La carte électronique a cru que l’appareil
fonctionnait en 220 volts alors qu’il est en 110. La surcharge a fait exploser
l’écran.

— Ils ont donc trouvé le moyen d’accéder à notre réseau
informatique…, remarqua Ji-woong, inquiet. Ils ont trouvé les moyens d’agir
dans notre monde.

— On ne peut pas jouer les apprentis dieux comme ça,
innocemment, remarqua Léopold.

— Il vaut mieux déconnecter totalement
Infra-World
.
Ces gens risquent d’être dangereux pour nous…, proféra David.

Il en fit une copie sur disquette à grande capacité puis
l’effaça de son propre disque dur.

— Ils sont inactivés. Peuple rebelle, te voilà réduit à
ta plus simple expression : une disquette de plastique magnétisé protégée
par un étui rigide.

Tous regardèrent la disquette comme s’il s’agissait d’un
serpent venimeux.

— Qu’est-ce qu’on fait de ce monde maintenant, on le
détruit ? demanda Zoé.

— Non ! Surtout pas ! clama Francine, qui se
remettait progressivement du choc. Même s’ils sont devenus agressifs envers
nous, il faut poursuivre l’expérience.

Elle demanda à Arthur un autre ordinateur. Un vieux ferait
l’affaire. Elle prit bien soin de vérifier que cet ordinateur n’avait aucun
modem hertzien, aucune connexion avec aucune autre machine. Elle installa
Infra-World
sur son disque dur et le mit en position marche.

Aussitôt,
Infra-World
se remit à vivre sans que ses
milliards d’habitants aient pris conscience qu’ils avaient un temps transité
sur une simple disquette. Avant qu’ils n’aient pu renouveler leurs agressions,
Francine enleva l’écran, et même le clavier, la souris. Désormais, Infra-World
tournait en circuit fermé, et il lui était impossible de prendre contact avec
ses dieux ou avec qui que ce soit.

— Ils voulaient être émancipés, ils le sont bel et
bien. Ils sont même tellement indépendants qu’on peut dire qu’ils sont
abandonnés à eux-mêmes, annonça Francine, en caressant ses écorchures.

— Pourquoi les laisses-tu vivre, alors ? demanda
Julie.

— Un jour, peut-être sera-t-il intéressant de voir où
ils en sont…

Après tant d’émotions, les sept amis se couchèrent dans
leurs loges respectives. Julie s’enveloppa dans ses draps neufs.

Encore seule.

Elle était sûre que Ji-woong allait la rejoindre. Il fallait
qu’ils reprennent là où ils s’étaient arrêtés. Pourvu que le Coréen arrive.
Maintenant que tout s’accélérait et devenait dangereux, elle voulait connaître
l’amour.

Des coups discrets à sa porte. Julie prestement se leva,
ouvrit, Ji-woong était là.

— J’ai tellement craint de ne plus te revoir, dit-il en
la prenant dans ses bras.

Elle resta immobile, silencieuse.

— Nous vivions un moment tellement féerique quand…

Il la serra encore. Elle se dégagea.

— Que se passe-t-il ? interrogea le jeune homme,
déconcerté. Je croyais que…

Presque malgré elle, elle articula :

— La magie, ça ne survient qu’une fois, et puis…

Quand le jeune homme voulut poser des lèvres chaudes sur son
épaule, elle recula :

— Il s’est passé tant de choses depuis… la magie s’est
dissipée.

Ji-woong ne comprenait rien au comportement de Julie. Elle
non plus, d’ailleurs.

— Mais c’est toi qui étais venue à…, commença-t-il.

Et puis, doucement, il interrogea :

— Tu crois que la magie reviendra ?

— Je n’en sais rien. Je veux rester seule maintenant.
Laisse-moi, je t’en prie.

Elle lui donna un petit baiser sur la joue, le repoussa et
referma doucement la porte.

Elle se recoucha en essayant de faire le point. Pourquoi
l’avait-elle repoussé alors qu’elle le désirait tant ?

Elle attendit que le Coréen revienne. Il fallait qu’il
revienne. Pourvu qu’il revienne. Elle bondirait vers lui lorsqu’il frapperait
de nouveau. Elle n’exigerait plus rien. Elle lui céderait, fondante, avant
qu’il n’ait eu le temps de prononcer un mot.

On frappa. Elle bondit. Ce n’était pas Ji-woong, c’était
David.

— Qu’est-ce que tu fabriques ici ?

Sans répondre, comme s’il n’avait rien entendu, il s’assit
au bord du lit et alluma la lampe de chevet. Il tenait une petite boîte dans sa
main.

— Je me suis un peu promené dans les laboratoires, j’ai
fureté et sur une paillasse, j’ai trouvé ça.

Il plaça sa boîte dans la lumière. Julie était contrariée
qu’il occupe sa loge alors que Ji-woong risquait de revenir, mais sa curiosité
fut la plus forte.

— C’est quoi ?

— Tu as voulu fabriquer la « Pierre de Rosette »
qui permet de dialoguer avec les fourmis, eux, ils l’ont faite. Léopold voulait
construire une maison dans une colline, eux l’ont bâtie. Paul cherchait à
cultiver des champignons pour qu’on puisse vivre en autarcie, ils en ont planté
à profusion. Ils ont inventé l’ordinateur à architecture démocratique dont la
seule idée excitait tant Francine… Et le projet de Zoé, t’en souviens-tu ?

— Des antennes artificielles pour une communication
absolue entre humains !

Julie se dressa sur ses oreillers.

Dans un écrin, David lui présentait deux petites antennes
roses terminées par un embout nasal.

Auraient-ils réussi même ça ?

— Tu en as parlé à Arthur ? demanda-t-elle.

— Tout le monde dort dans la pyramide. Je ne tenais pas
à déranger qui que ce soit. J’ai trouvé deux paires de ces antennes. Je les ai
prises, c’est tout.

Ils considérèrent les objets étranges telles des friandises
interdites. Un instant, Julie fut tentée de dire : « Attendons demain
et demandons l’avis d’Arthur », mais tout en elle lui criait :
« Vas-y, essaie. »

— Tu te rappelles ? Edmond Wells dit que dans une
C.A., les deux fourmis ne font pas qu’échanger des informations, elles
branchent directement leur cerveau l’un sur l’autre. Par l’entremise des antennes,
les hormones circulent ensuite d’un crâne à l’autre comme s’ils ne faisaient
plus qu’un et, ainsi, elles se comprennent entièrement, totalement,
parfaitement.

Leurs regards se croisèrent.

— On tente le coup ?

 

199. ENCYCLOPÉDIE

 

EMPATHIE
 : L’empathie est la faculté de ressentir ce que
ressentent les autres, de percevoir et partager leurs joies ou leurs douleurs.
(En grec,
pathos
signifie « souffrance ».) Les plantes
elles-mêmes perçoivent la douleur. Si on pose les électrodes d’un galvanomètre,
machine à mesurer la résistance électrique, sur l’écorce d’un arbre et que
quelqu’un appuyé contre elle s’entaille le doigt avec un couteau, on constate
une modification de cette résistance. L’arbre perçoit donc la destruction des
cellules lors d’une blessure humaine.

Cela signifie que
lorsqu’un humain est assassiné dans une forêt, tous les arbres le perçoivent et
en sont affectés. D’après l’écrivain américain Philip K. Dick, auteur de
Blade
Runner
, si un robot est capable de percevoir la douleur d’un homme et d’en
souffrir, il mérite alors d’être qualifié d’humain. À contrario, si un humain
n’est pas capable de percevoir la douleur d’un autre, il serait justifié de lui
retirer sa qualité d’homme. On pourrait imaginer à partir de là une nouvelle
sanction pénale : la privation du titre d’être humain.

Seraient châtiés ainsi les
tortionnaires, les assassins et les terroristes, tous ceux qui infligent la
douleur à autrui sans en être affectés.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

200. LE POIDS DES PIEDS

 

Maximilien pensait avoir enfin trouvé une piste sérieuse.
Les traces de pas étaient nettes. Une fille et un garçon étaient passés par là.
Leur jeune âge était reconnaissable au fait qu’ils déportaient vers l’avant le
poids de leurs pieds, imprimant ainsi une trace plus profonde au niveau des
orteils qu’à celui du talon. Quant au sexe, le commissaire le détermina à
partir de quelques cheveux. Les humains perdent partout leurs poils sans même
s’en apercevoir. Les longs cheveux noirs ressemblaient assurément à ceux de
Julie. La marque de la pointe de la canne de David acheva de le convaincre, il
les avait retrouvés.

La piste le mena à une cuvette encerclée par des ronces, au
centre de laquelle se dressait une colline.

Maximilien reconnaissait l’endroit. C’était là qu’il avait
lutté contre les guêpes. Mais où était donc passée la pyramide
forestière ?

Il regarda le doigt de grès qui semblait répondre à sa
question en indiquant la colline. Le monde est rempli de signes qui vous aident
à chaque fois que vous avez des soucis. Cependant, son cerveau n’était pas
encore prêt à y accorder attention.

Maximilien essayait de comprendre comment la pyramide avait
disparu. Il sortit son carnet et examina le croquis qu’il avait pris la
première fois.

Derrière lui, les autres policiers accouraient, impatients.

— Et maintenant, que fait-on, commissaire ?

 

201. CONSCIENCE DU PRÉSENT

 

— Allons-y !

David déploya deux paires d’antennes nasales. Les appendices
ressemblaient à deux petites cornes roses en plastique, soudées à l’écartement
des narines et prolongées de deux tiges plus fines de quinze centimètres de
long. Les parties destinées à servir d’antennes proprement dites étaient
composées de onze segments percés de micropores et nantis d’une rainure afin de
s’emboîter avec celles d’en face.

David brandit l’
Encyclopédie
et chercha le passage
concernant les C.A. Il lut :

— Il faut s’introduire les antennes dans les narines,
ce qui décuplera, en émission et en réception, nos sens olfactifs. La cavité
nasale étant une muqueuse parcourue de petites veines perméables, toutes nos
émotions y passent rapidement dans le sang. Nous allons communiquer directement
de nez à nez. Derrière les cavités nasales se trouvent en effet des
neurocapteurs qui transmettront directement les informations chimiques au
cerveau.

Julie examinait les antennes, encore incrédule.

— Tout ça par le sens olfactif ?

— Bien sûr. Le sens olfactif est notre premier sens,
notre sens originel, notre sens animal. Il est particulièrement développé chez
le nouveau-né qui peut reconnaître l’odeur du lait de sa mère.

David s’empara d’une antenne.

— Selon le schéma de l’
Encyclopédie
, elle doit
contenir un système électronique, sans doute une pompe qui aspire et propulse
nos molécules odorantes.

Le jeune homme appuya sur le petit bouton marqué on,
s’introduisit une paire d’antennes dans les narines et invita Julie à faire de
même.

Au début, ils eurent un peu mal car le plastique comprimait
la paroi nasale. Ils s’y habituèrent, fermèrent les yeux et inspirèrent.

Julie fut immédiatement assaillie par les relents de leurs
deux sueurs. À sa grande surprise, ces odeurs de sueur lui transmirent des
informations qu’elle s’avéra capable de décoder au fur et à mesure. Elle y
reconnut de la peur, de l’envie et du stress.

C’était à la fois merveilleux et inquiétant.

David lui fit signe d’inspirer très fort et de laisser
monter les fragrances jusqu’à son cerveau. Lorsque tous deux parvinrent à
maîtriser cet exercice, il demanda à la jeune fille de se rapprocher.

— Prête ?

— C’est étrange, j’ai l’impression que tu vas pénétrer
en moi, murmura Julie.

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