Read Collected Poems in English and French Online
Authors: Samuel Beckett
En l'honneur des muets des aveugles des sourds
A la grande pierre noire sur les épaules
Les disparitions du monde sans mystère
Mais aussi pour les autres à l'appel des choses par leur nom
La brûlure de toutes les métamorphoses
La chaîne entière des aurores dans la tête
Tous les cris qui s'acharnent à briser les mots
Et qui creusent la bouche et qui creusent les yeux
Où les couleurs furieuses défont les brumes de l'attente
Dressent l'amour contre la vie les morts en rêvent
Les bas-vivants partagent les autres sont esclaves
De l'amour comme on peut l'être de la liberté.
(L'amour la poésie, 1929)
In honour of the dumb the blind the deaf
Shouldering the great black stone
The things of time passing simply away
But then for the others knowing things by their names
The sear of every metamorphosis
The unbroken chain of dawns in the brain
The implacable cries shattering words
Furrowing the mouth furrowing the eyes
Where furious colours dispel the mists of vigil
Set up love against life that the dead dream of
The low-living share the others are slaves
Of love as some are slaves of freedom
(Love, Poetry, 1929)
à Benjamin Péret
A l'heure où apparaissent les premiers symptômes de
la viduité de l'esprit
On peut voir un nègre toujours le même
Dans une rue très passante arborer ostensiblement une
cravate rouge
Il est toujours coiffé du même chapeau beige
Il a le visage de la méchanceté il ne regarde personne
Et personne ne le regarde.
Je n'aime ni les routes ni les montagnes ni les forêts
Je reste froid devant les ponts
Leurs arches ne sont pas pour moi des yeux je ne me
promène pas sur des sourcils
Je me promène dans les quartiers où il y a le plus de
femmes
Et je ne m'intéresse alors qu'aux femmes
Le nègre aussi car à l'heure où l'ennui et la fatigue
Deviennent les maîtres et me font indifférent à mes désirs
A moi-même
Je le rencontre toujours
Je suis indifférent il est méchant
Sa cravate doit être en fer forgé peint au minium
Faux feu de forge
Mais s'il est là par méchanceté
Je ne le remarque que par désoeuvrement.
At the hour when the first symptoms of mental viduity
make themselves felt
A negro is to be seen always the same negro
In a most thoroughfare ostensibly swanking a red tie
He always sports the same beige hat
He has the features of spite he looks at no one
And no one looks at him
I love neither roads nor mountains nor forests
Bridges leave me cold
I do not see their arches as eyes I am not in the habit of
walking on brows
I am in the habit of walking in quarters where there are
the most women
And then I am interested only in women
The negro also for at the hour when boredom and fatigue
Daunt and detach me from desires
Then I meet him always
I am detached he is spiteful
His tie is certainly wrought iron with a coat of red-lead
False forge fire
But whether or not he is there out of spite
It is certain that I only notice him for want of something
better to do
Un évident besoin de ne rien voir traîne les ombres
Mais le soir titubant quitte son nid
Qu'est-ce que ce signal ces signaux ces alarmes
On s'étonne pour la dernière fois
En s'en allant les femmes enlèvent leur chemise de lumière
De but en but un seul but nul ne demeure
Quand nous n'y sommes plus la lumière est seule.
Le grenier de carmin a des recoins de jade
Et de jaspe si l'œil s'est refusé la nacre
La bouche est la bouche du sang
Le sureau tend le cou pour le lait du couteau
Un silex a fait peur à la nuit orageuse
Le risque enfant fait trébucher l'audace
Des pierres sur le chaume des oiseaux sur les tuiles
Du feu dans les moissons dans les poitrines
Joue avec le pollen de l'haleine nocturne
Taillée au gré des vents l'eau fait l'éclaboussée
L'éclat du jour s'enflamme aux courbes de la vague
Et dans son corset noir une morte séduit
Les scarabées de l'herbe et des branchages morts.
Parmi tant de passants.
(La vie immédiate, 1932)
The shadows are yoked to an obvious determination to
see nothing
But forth from its nest the evening staggers
What is that signal those signals those alarums
It is the last astonishment of the evening
The women departing slip off their chemises of light
All of a single sudden not a soul remains
When we are gone the light is alone
The carmine loft has nooks of jade
And jasper if the eye shuns nacre
The mouth is the mouth of the blood the elder
Cranes its neck for the milk of the blade
A flint has cowed the tempestuous night
Risk infant trips up daring
Stones on the stubble birds on the tiles
Fire in the harvests in the breasts
Playing with the pollen of the breath of the night
Hewn at the hands of the winds the water
Catches up her skirts and the scrolls of wave
Set the spark of dawn aflame
And in her black bodice a corpse seduces
The scarabs of the grass and of the dead boughs
In a so thoroughfare
(The Immediate Life, 1932)
1
Une femme chaque nuit
Voyage en grand secret.
2
Villages de la lassitude
Où les filles ont les bras nus
Comme des jets d'eau
La jeunesse grandit en elles
Et rit sur la pointe des pieds.
Villages de la lassitude
Où tous les êtres sont pareils.
3
Pour voir les yeux où l'on s'enferme
Et les rires où l'on prend place.
4
Je veux t'embrasser je t'embrasse
Je veux te quitter tu t'ennuies
Mais aux limites de nos forces
Tu revêts une armure plus dangereuse qu'une arme.
1
A woman every night
Journeys secretly.
2
Villages of weariness
Where the arms of girls are bare
As jets of water
Where their youth increasing in them
Laughs and laughs and laughs on tiptoe
Villages of weariness
Where everybody is the same.
3
To see the eyes that cloister you
And the laughter that receives you.
4
I want to kiss thee I do kiss thee
I want to leave thee thou art tired
But when our strengths are at the ebb
Thou puttest on an armour more perilous than an arm.
5
Le corps et les honneurs profanes
Incroyable conspiration
Des angles doux comme des ailes.
— Mais la main qui me caresse
C'est mon rire qui l'ouvre
C'est ma gorge qui la retient
Qui la supprime.
Incroyable conspiration
Des découvertes et des surprises.
6
Fantôme de ta nudité
Fantôme enfant de ta simplicité
Dompteur puéril sommeil charnel
De libertés imaginaires.
7
A ce souffle à ce soleil d'hier
Qui joint tes lèvres
Cette caresse toute fraîche
Pour courir les mers légères de ta pudeur
Pour en façonner dans l'ombre
Les miroirs de jasmin
Le problème du calme
5
The body and the profane honours
Incredible conspiracy
Of the angles soft as wings.
But the hand caressing me
It is my laughter that unclasps it
It is my throat that clings to it
That ends it
Incredible conspiracy
Of the discoveries and surprises.
6
Phantom of thy nudity
Phantom child of thy simplicity
Child victor carnal sleep
Of unreal liberties.
7
It is the breath the yestersun
Joining thy lips
And it is the caress the fresh caress
To scour the frail seas of thy shame
To fashion them in gloom
It is the mirrors of jasmine
The problem of calm.
8
Désarmée
Elle ne se connaît plus d'ennemis.
9
Elle s'allonge
Pour se sentir moins seule.
10
J'admirais descendant vers toi
L'espace occupé par le temps
Nos souvenirs me transportaient
Il te manque beaucoup de place
Pour être toujours avec moi.
11
Déchirant ses baisers et ses peurs
Elle s'éveille la nuit
Pour s'étonner de tout ce qui l'a remplacée.
8
Disarmed
She knows of no enemy.
9
She stretches herself
That she may feel less alone.
10
I admired, descending upon thee
Time in the chariot of space
Our memories transported me
Much room is denied thee
For ever with me.
11
Rending her kisses and her fears
She wakes in the night
To wonder at all that has replaced her.
1
La simplicité même écrire
Pour aujourd'hui la main est là.
2
Il faut voir de près
Les curieux
Quand on s'ennuie.
3
La violence des vents du large
Des navires de vieux visages
Une demeure permanente
Et des armes pour se défendre
Une plage peu fréquentée
Un coup de feu un seul
Stupéfaction du père
Mort depuis longtemps.
4
Tous ces gens mangent
Ils sont gourmands ils sont contents
Et s'ils rient ils mangent plus.
1
Simplicity yea even to write
To-day at least the hand is there
2
It is meet to scrutinize
The inquisitive
When one is weary
3
The violence of sea-winds
Ships old faces
A permanent abode
Weapons to defend one
A shot one only
Stupefaction of the father
Dead this long time
4
All these people eat
They are gluttonous they are happy
The more they laugh the more they eat
5
Par-dessus les chapeaux
Un régiment d'orfraies passe au galop
C'est un régiment de chaussures
Toutes les collections des fétichistes déçus
Allant au diable.
6
Des cataclysmes d'or bien acquis
Et d'argent mal acquis.
7
Les oiseaux parfument les bois
Les rochers leurs grands lacs nocturnes.
8
Gagner au jeu du profil
Qu'un oiseau reste dans ses ailes.
9
Immobile
J'habite cette épine et ma griffe se pose
Sur les seins délicieux de la misère et du crime.
5
Above the hatwear
A regiment of ospreys gallops past
It is a regiment of footwear
All the disillusioned fetishists and their complete collections
Off to the devil
6
Cataclysms of gold well-gotten
And of silver ill-gotten
7
The birds perfume the woods
The rocks their great nocturnal lakes
8
Play at profile and win
Let a bird abide in its wings
9
Rapt
I dwell in this thorn and my claw alights
On the sweet breasts of poverty and crime
10
Pourquoi les fait-on courir
On ne les fait pas courir
L'arrivée en avance
Le départ en retard
Quel chemin en arrière
Quand la lenteur s'en mêle.
Les preuves du contraire
Et l'inutilité.
11
Une limaille d'or un trésor une flaque
De platine au fond d'une vallée abominable
Dont les habitants n'ont plus de mains
Entraîne les joueurs à sortir d'eux-mêmes.
12
Le salon à la langue noire lèche son maître
Il l'embaume il lui tient lieu d'éternité.
13
Le passage de la Bérésina par une femme rousse à grandes
mamelles.
14
Il la prend dans ses bras
Lueurs brillantes un instant entrevues
Aux omoplates aux épaules aux seins
Puis cachées par un nuage.
Elle porte la main à son cœur
Elle pâlit elle frissonne
Qui donc a crié?
Mais l'autre s'il est encore vivant
On le retrouvera
Dans une ville inconnue.
10
Why are they made to run
They are not made to run
Arriving underdue
Departing overdue
What a road back
When slowness takes a hand
Proofs of the contrary
And futility
11
Gold-filings a treasure a platinum
Puddle deep in a horrible valley
Whose denizens have lost their hands
It takes the players out of themselves