The Running Man (20 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

BOOK: The Running Man
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La foule ne bougea pas. Une camionnette-studio jaune et noir arrivait. Elle s’immobilisa dans un hurlement de freins. Deux hommes en descendirent et commencèrent à installer une caméra.

Trois policiers se précipitèrent. Au terme d’une brève mais violente bagarre, l’un d’eux s’empara de la caméra et, la saisissant par le pied, la fracassa sur la chaussée. Un des journalistes eut le mauvais goût de protester. Il se fit matraquer.

Un gamin surgit de la foule et lança une pierre sur la nuque du flic qui maniait la matraque. Le flic s’écroula, éclaboussant la chaussée de sang. Aussitôt, une demi-douzaine d’hommes et de femmes se précipitèrent pour ramener l’enfant avant que les autres policiers n’aient le temps de réagir.

La foule devenait de plus en plus agitée. Des bagarres éclataient, mettant aux prises les bourgeois bien habillés et les loqueteux des taudis. Une femme maigre et sèche, portant un tablier de cuisine tout déchiré, empoigna une prospère matrone par les cheveux et la traîna sur le sol en la bourrant de coups de pied et en braillant.

— Quelle horreur ! laissa échapper Amélia.

— Que se passe-t-il ? demanda Richards, qui n’osait pas lever la tête.

— La police a matraqué un journaliste et cassé sa caméra. Des bagarres dans la foule.

— RENDEZ-VOUS, RICHARDS ! DESCENDEZ !

— Allez-y, dit-il à voix basse. Démarrez.

L’air-car se mit en mouvement, par à-coups hésitants.

— Ils vont tirer sur les sphères, dit-elle. Puis attendre que vous descendiez.

— Sûrement pas, dit Richards.

— Pourquoi ?

— Ils sont trop bêtes.

Ils ne le firent pas.

Ils passèrent lentement devant les voitures de police sagement alignées et les spectateurs aux yeux exorbités. Ceux-ci s’étaient instinctivement divisés en deux groupes. D’un côté de la rue, s’étaient rassemblés les membres des classes supérieures et moyennes : dames sortant du salon de coiffure, hommes en chemises Arrow et mocassins ; technicos en survêtements portant le nom de leur compagnie au dos et leur propre nom brodé en lettres dorées sur la poitrine ; femmes comme Amélia Williams elle-même, habillées pour sortir en ville. Leurs visages si différents avaient pourtant un trait commun : il leur manquait quelque chose, comme un portrait avec des trous en guise d’yeux, ou un puzzle où l’on a oublié une petite pièce. « Ce qui leur manque, songea Richards, c’est le désespoir. Pas de loups affamés dans ces ventres. Pas d’espoirs fous ni de cauchemars déchirants dans ces têtes.

Ils étaient tous sur le trottoir de droite, du côté de la marina et du country-club qu’ils venaient de longer.

En face, il y avait les pauvres, les laissés-pour-compte. Nez rouges aux veines éclatées. Seins flasques et pendants. Cheveux emmêlés. Chaussettes blanches. Varices. Visages boutonneux. Yeux torves et bouches tordues de l’imbécillité.

Les policiers étaient de plus en plus nombreux. Richards n’était pas surpris par la rapidité de leur réaction. Même dans ce coin perdu, la matraque et le fusil étaient toujours à portée de main. Dans le chenil, les chiens au ventre creux attendaient. Les pauvres cambriolent les résidences inoccupées pendant la mauvaise saison. Leurs enfants attaquent en bandes les supermarchés. Il leur arrive d’écrire des obscénités sur les vitrines des magasins, en faisant plein de fautes d’orthographe. Les pauvres ont notoirement mauvais caractère ; la vue de manteaux de vison, de chromes et de complets à deux cents dollars leur inspire parfois des réactions déplaisantes. Et les pauvres ont besoin d’un Jack Johnson, d’un Muhammad Ali, d’un Clyde Barrow. Les pauvres attendaient, attentifs à tout.

« A droite, messieurs-dames, pensa Richards, vous voyez le beau monde. Ils sont mous et gras, mais fortement armés. A gauche, ne pesant que soixante kilos, mais coriaces et n’hésitant pas à porter des coups bas, nous avons les Braillards Affamés. Leur seule politique est celle de la faim : pour une livre de salami, ils assommeraient le Christ en personne. La ségrégation s’installe à Trifouillis-les-Oies. Observez-les bien. Ils ont une fâcheuse tendance à ne pas rester sur le ring, et à continuer à se battre dans la salle. Trouverons-nous un bouc émissaire qui les satisfasse les uns et les autres ? »

Lentement, à trente à l’heure, ils passèrent entre les deux murs humains.

Compte à rebours... 038

Une heure passa. Sur la route, les ombres s’allongeaient. Richards avait l’impression de flotter ; parfois, sans même s’en rendre compte, il perdait conscience pendant quelques instants. Avec précaution, il avait relevé sa chemise pour examiner sa nouvelle blessure. La balle avait creusé un profond sillon au-dessus de la hanche. Le sang avait fini par coaguler, mais au moindre effort, cela se remettrait à saigner. Sans importance. Il était fichu. Face à ce déploiement de forces, son plan était une rigolade. Il allait quand même continuer, combler un à un les vides, jusqu’à ce qu’un « fâcheux accident » ne réduise la voiture en un tas de ferraille fumante (
terrible méprise... le policier responsable a été suspendu en attendant le résultat de l’enquête... déplorons vivement la mort d’une personne innocente...
, annoncerait le speaker entre les cours de la Bourse et la dernière déclaration du pape). Mais ce n’était plus qu’un réflexe. Il était de plus en plus inquiet pour Amélia Williams, dont la seule faute avait été d’aller faire des courses en ville ce mercredi matin.

— Ils ont des tanks, dit-elle soudain d’une voix frêle, vibrant d’une hystérie contenue. Vous vous rendez compte ? Ils ont...

Elle se mit à pleurer en silence. Richards attendit un moment, puis demanda :

— Où sommes-nous ?

— W... Winterport. Je l’ai vu sur le panneau. Je... Je ne peux plus supporter cette attente.
Je ne peux plus !

— Comme vous voudrez, dit-il.

Elle cilla une fois, puis secoua imperceptiblement la tête, comme pour s’éclaircir les idées.

— Quoi ?

— Arrêtez la voiture. Descendez.

— Ils vous tueront aussitôt...

— Je sais. Mais il n’y aura pas de sang, n’ayez crainte. Avec la puissance de feu dont ils disposent, il ne restera rien de la voiture. Ni de moi-même.

— Vous mentez. Si je descends, vous allez me tuer.

Pour toute réponse, il jeta le pistolet à ses pieds. L’arme tomba sans bruit sur l’épaisse moquette caoutchoutée.

— Si seulement j’avais un joint, dit-elle, l’esprit à la dérive. Quelque chose pour me changer les idées. Vous ne pouviez pas attendre une autre voiture, non ? Oh mon Dieu, mon Dieu... !

Richards fut soudain secoué par un rire rauque et sifflant. Cela lui faisait mal au côté, mais il continua à rire, les yeux fermés, jusqu’à ce que les larmes coulent sur ses joues.

— Il fait froid, sans pare-brise, dit-elle hors de propos. Vous pourriez mettre le chauffage ?

Dans la lumière déclinante, son visage n’était qu’un ovale de pâle lumière.

Compte à rebours... 037

— Nous arrivons à Derry, annonça-t-elle.

Les rues étaient noires de monde. Toute la ville semblait assemblée sur les trottoirs, les balcons et les vérandas, les petites pelouses. Les gens mangeaient des sandwiches graisseux et du poulet frit.

— La direction du jetport est indiquée ?

— Oui. Je suis les panneaux. Mais ils fermeront les accès, vous savez.

— Je menacerai une fois de plus de vous tuer.

— Vous voulez détourner un avion ?

— Je vais essayer.

— Vous n’avez pas une chance.

— Je le crains.

Ils tournèrent à droite, puis à gauche. Les haut-parleurs continuaient leur litanie monotone : dispersez-vous, ne gênez pas les forces de l’ordre...

— C’est vraiment votre femme ? Celle qu’ils ont montrée au Libertel ?

— Oui. Elle s’appelle Sheila. Notre bébé, Cathy, a dix-huit mois. Elle a la grippe, beaucoup de fièvre. Elle risque une pneumonie. J’espère qu’elle va mieux. C’est à cause d’elle que je fais tout cela.

Un hélicoptère passa, très bas, projetant l’ombre d’une gigantesque araignée. Une voix déformée par l’amplification exhorta Richards à libérer son otage. Lorsque le vacarme assourdissant eut cessé, elle dit :

— Votre femme ressemble à une clocharde. Elle pourrait prendre davantage soin d’elle-même.

— La photo ne lui ressemblait pas, dit Richards d’une voix éteinte. Ils l’ont retouchée pour lui donner cet aspect.

— Qui ferait une horreur pareille ?

— Les responsables des Jeux.

— Le jetport. Nous y sommes presque.

— Le portail est fermé ?

— Attendez, je ne vois pas bien... Ouvert, mais bloqué. Un tank. Son canon est pointé sur nous.

— Continuez et arrêtez-vous à dix mètres du tank.

Roulant au pas, l’air-car suivit la route à quatre voies entre deux rangées de voitures de police, derrière lesquelles la foule criait et s’agitait. Au-dessus du portail, un énorme panneau indiquait VOIGT AIRFIELD. Des deux côtés, de hautes clôtures électrifiées. Au-delà, des routes d’accès serpentaient entre des îlots couverts de mauvaises herbes jusqu’aux parkings et au terminal, qui cachait les pistes. En position sous le portail un tank A-62, capable de tirer des projectiles d’un quart de mégatonne. Le tout était dominé par une haute tour de contrôle ; dans les vitres de la cabine, se reflétait un soleil couleur de sang.

Avec un vrombissement assourdissant, un énorme Superbird Lockheed/G-A gris acier s’éleva dans le ciel avec une lenteur hallucinante.

— RICHARDS !

Amélia sursauta et le regarda, épouvantée. Il agita la main avec nonchalance. Ce n’est rien.
It’s all right, Ma. l’m only dying.

— L’ACCÈS DU JETPORT VOUS EST INTERDIT. RELÂCHEZ VOTRE OTAGE ET DESCENDEZ.

— Et maintenant ? demanda-t-elle. La situation est bloquée. Ils vont simplement attendre que...

— Chacun va y aller de son bluff, dit Richards. On verra bien ce que ça donne. Penchez-vous dehors et dites-leur que je suis blessé et à moitié fou. Dites-leur que je veux me rendre à la police de l’air.

— Vous allez faire
ça
 ?

— La police de l’air ne dépend ni des Etats ni de l’Union fédérale. Elle est internationale depuis le traité de 1995. On racontait dans le temps que si on se rendait à elle, on était amnistié. Une histoire à dormir debout, bien sûr. Si je me rends, ils vont me remettre aux Chasseurs, qui m’emmèneront dans un coin sombre pour faire leur boulot.

Elle frissonna.

— Ils penseront peut-être que je suis assez bête pour le croire. Ne serait-ce que parce que c’est ma dernière chance. Allez-y.

Elle se pencha dehors. Richards se raidit. S’ils avaient l’intention de supprimer Amélia (un « déplorable accident » qui simplifierait énormément la situation), c’était le moment ou jamais. Sa tête et son buste étaient exposés sans défense à des centaines de fusils, de mitrailleuses et de canons. Une seule balle, et la farce serait terminée.

— Ben Richards veut se rendre à la police de l’air ! cria-t-elle. Il est blessé en deux endroits ! (Elle jeta un regard par-dessus son épaule et poursuivit d’une voix rendue aiguë par la terreur :) Il est à moitié fou et je...
j’ai si peur ! Pitié ! Ayez pitié de moi !

Les caméras enregistraient tout. L’Amérique entière voyait ces images en direct : quatre minutes plus tard elles allaient être diffusées dans le monde entier. Bien. Excellent. Richards sentit l’espoir renaître.

Un long silence. Les sommités locales étaient probablement en train de se concerter.

— Vous vous en êtes très bien tirée, dit Richards.

Elle se tourna vers lui :

— Vous croyez que c’était difficile de paraître effrayée ? Ne vous imaginez pas que j’agis ainsi pour vous aider. Tout ce que je veux, c’est être débarrassée de vous.

Richards remarqua pour la première fois qu’elle avait une poitrine splendide, que son corsage cachait à peine. Un trésor de perfection.

Un grondement assourdissant la fit sursauter.

— C’est le tank. N’ayez pas peur, ce n’est que le tank.

— Il se déplace, annonça-t-elle. Ils vont nous laisser entrer.

— RICHARDS ! VOUS DEVEZ GAGNER LE PARKING 16. LA POLICE DE L’AIR VOUS Y ATTEND POUR VOUS PRENDRE EN CHARGE.

— Bien, dit-il dans un soupir. Allez-y. A sept ou huit cents mètres de l’entrée, arrêtez-vous.

— Vous finirez par me faire tuer, dit-elle avec découragement. J’ai envie d’aller aux toilettes, et vous allez me faire tuer...

L’air-car se souleva d’une dizaine de centimètres et glissa de l’avant avec un doux ronronnement. Au passage du portail, Richards, craignant une embuscade, se tapit sous le tableau de bord. Il ne se passa rien. Amélia s’engagea dans une allée revêtue de macadam noir. Un panneau avec une flèche indiquait : Parkings 16 à 20.

Partout, des policiers agenouillés derrière ces barrières jaunes. Richards savait qu’au moindre mouvement suspect, ils réduiraient l’air-car en miettes.

— Bien, dit-il. Arrêtez-vous ici.

La réaction fut instantanée :

— RICHARDS ! CONTINUEZ IMMÉDIATEMENT JUSQU’AU PARKING 16 !

— Dites-leur que je veux un porte-voix, murmura Richards. Ils devront le poser sur la route à vingt mètres devant nous. Je veux leur parler.

Elle cria le message, et ils attendirent. Une minute plus tard, un homme en uniforme bleu arriva en courant et posa un mégaphone sur la chaussée. Il resta un moment immobile, savourant peut-être le fait que cinq cents millions de personnes le regardaient, puis retourna à l’anonymat.

— Allez-y, au pas.

Arrivée au niveau du porte-voix, elle entrouvrit la portière et le saisit. Il était rouge et blanc, frappé du sigle G-A avec un éclair stylisé.

— Parfait. A quelle distance se trouve le terminal ?

Elle plissa les yeux.

— A peu près quatre cents mètres.

— Et le parking 16 ?

— A mi-distance.

— Bien... Très bien.

Se rendant compte qu’il se mordait compulsivement les lèvres, il essaya de se maîtriser. Il avait une forte migraine et son corps entier, empoisonné par l’adrénaline, lui faisait mal.

— Continuez jusqu’au parking 16, mais n’y entrez pas.

— Et ensuite ?

Il eut un sourire crispé.

— Ensuite, il faudra que j’abatte mes dernières cartes.

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