Plus les jours passent et plus ma colère grandit à l’encontre de François. Comment a-t-il pu tout gâcher ? Notre histoire et son début de quinquennat. Cette question, je me la pose en boucle. Lui, sans doute aussi. Il m’écrit pour se justifier : « J’étais perdu et je me suis perdu. »
Pas un jour ne passe sans qu’il me demande de lui pardonner, et qu’il me propose un recommencement. Je n’y arrive pas, je ne peux pas. La douleur est trop forte. Elle est à la mesure de l’amour que je lui portais.
Jusqu’à notre séparation, je suis restée amoureuse, éperdue, prête à tout pour un regard, un compliment, une attention. J’étais raide dingue de lui. Avec le temps, je devenais dingue et raide. Son infidélité a rompu le sortilège.
Comment n’ai-je pas compris dès le début dans quel piège je tombais ? Le Baiser de Limoges est le point de départ d’un engrenage infernal. Comment n’ai-je pas mesuré l’étendue des dégâts qui allaient s’abattre sur moi ? Longtemps, j’ai été aveuglée, dépassée par cet amour que j’avais si longtemps refusé. Lorsque nous nous sommes quittés au petit matin, il m’a accompagnée à la gare de Limoges sans se cacher. Cette nuit-là, il m’a avoué son amour. Il ne voulait pas seulement me conquérir. Il voulait que je l’aime. Comme un crescendo, quand je lui ai dit « je t’aime » à mon tour, il a voulu que je n’aime que lui, et enfin que je l’aime comme je n’avais jamais aimé. Ce que j’ai fait. Il a tout obtenu de moi. Il avait un pouvoir et une emprise sur moi. Il m’a toujours récupérée, même lorsque j’ai tenté de m’éloigner, blessée par un mensonge ou un non-dit.
Chaque jour, il me répétait que nous avions perdu quinze ans. Je lui disais que non, que c’était le destin. Que si notre histoire avait débuté quinze ans plus tôt, nous serions peut-être déjà séparés. De fait, elle n’aura même pas duré quinze ans… Chacun a fait sa vie avant. Et je suis fière que mes fils ressemblent à leur père, qu’ils aient hérité de sa classe.
Après Limoges, nous nous retrouvons dans un restaurant que nous avons surnommé « la table du fond ». Nous restons pour déjeuner à l’abri des regards, souvent jusqu’à 16 heures, nous n’arrivons pas à nous quitter. Nous nous téléphonons des heures durant. Nous avons tant à nous dire, à partager, c’est comme une eau qui sourd après avoir été trop longtemps contenue.
Les vacances d’été approchent. J’ai avoué à mon mari que j’ai rencontré quelqu’un. Je ne dis pas son nom. Il le découvre rapidement. Je comprends aujourd’hui sa détresse d’alors. Je sais désormais quel degré peut atteindre la souffrance, quelle folie elle peut engendrer.
Juste avant l’été, François et moi arrivons à voler des moments de bonheur intense. Quand sonne l’heure de partir en vacances avec nos familles respectives, c’est le désarroi. Nous séparer un mois nous semble au-dessus de nos forces. Tout me manque en lui, quand il n’est pas là. Il m’a ensorcelée. Nous songeons à fuir ensemble. Nous y renonçons pour nos enfants.
Il me dit vivre un enfer. Je découvre cet été-là des photos de lui dans les magazines, l’air heureux avec les siens. Est-il duplice ? Je ne doute pas de son amour. Jamais un homme ne m’a autant montré qu’il m’aime.
À la rentrée de septembre 2005, Ségolène Royal apprend notre histoire. Elle annonce aussitôt qu’elle songe à se présenter aux primaires socialistes, dans un entretien à…
Paris-Match.
Le message est direct, mais François ne prend pas cette déclaration au sérieux. Pourtant le scénario noir commence à s’écrire. La chasse à la femme est ouverte et cette femme, c’est moi. Au journal, alertée par Ségolène Royal, la direction fait pression sur moi. Je suis par ailleurs menacée de représailles de la part de son camp à elle. J’ai peur, François me rassure, il est certain que les choses vont se calmer et qu’elle n’ira pas jusqu’au bout de sa candidature aux primaires. En décembre, il me propose la vie commune. Je refuse, je ne suis pas prête. L’explosion médiatique que cela provoquerait me fait peur. J’en fais des cauchemars. J’imagine que l’on m’expose nue sur une place, que je n’ai aucun endroit où me cacher.
Les menaces se font de plus en plus pressantes, y compris auprès de la direction de
Paris-Match.
À plusieurs reprises, nous tentons de nous séparer. De rentrer chacun chez soi et de reprendre le cours normal de nos vies. Je ne veux pas être responsable de ce qu’il risque de se produire : bien que premier secrétaire du PS, et donc le candidat légitime de son camp, il ne va pas pouvoir se présenter aux primaires socialistes.
Ségolène Royal le défie publiquement pour qu’il cède en privé. C’est un bras de fer et je suis l’enjeu de leur duel. François ne cède pas. Plus la candidature de la mère de ses enfants prend racine et plus il me dit qu’il a besoin de moi. Pourtant, il me raconte qu’elle lui a mis le marché clairement en main :
– Si tu quittes cette fille, je te laisse la place.
Entre son avenir politique et moi, il doit choisir. Nous tentons encore une fois de nous séparer, sans plus de succès. Un deuxième été approche. La mort dans l’âme, nous nous préparons à partir l’un sans l’autre. Moi, seule avec mes enfants. Lui, avec sa famille pour la comédie du bonheur. La famille parfaite, lui le premier secrétaire qui s’apprête à s’effacer pour la mère de ses enfants.
Les journalistes raffolent de cette histoire si romanesque, sans imaginer qu’elle tourne au cauchemar. La machine est en marche. Plus rien n’arrête Ségolène Royal. Son ambition et son énergie sont décuplées par sa colère et sa souffrance face aux difficultés de son couple, qu’elle tait.
Les sondages en sa faveur se multiplient. Elle fait la course en tête. François demande à tous ses amis de la soutenir, tout en m’affirmant l’inverse. Il comprend que la partie est finie pour lui et qu’elle a gagné. À tout prendre, il préfère que ce soit Ségolène Royal plutôt que Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius ou Lionel Jospin qui tente pourtant un retour durant l’été 2006.
Je suis à deux doigts d’aller voir l’ancien Premier ministre, pour lui dire la vérité. De lui expliquer pourquoi François ne peut pas appeler publiquement à sa candidature, parce qu’il est ligoté par son dilemme privé. Mais je renonce, je suis journaliste, ce n’est pas mon rôle et j’aurais l’impression de trahir François. Entre temps, il sors un livre d’entretiens avec Edwy Plenel,
Devoir de vérité.
Il s’était plongé dans l’écriture de cet ouvrage alors qu’il espérait encore être candidat. Je relis sa dédicace : « À Valérie, à toi qui connaît toute la vérité et davantage encore. Le deuxième tome arrive, ce sera entre toi et moi et jamais un devoir. »
Puis Ségolène Royal est désignée haut la main. Je suis assommée. Je veux cesser notre relation. Je ne veux pas participer au mensonge médiatique du couple uni qui s’épaule dans la course à l’Élysée. Je ne veux pas être complice de cette fable. J’ai l’impression d’entrer dans un mauvais film dont la fin ne pourra être que tragique.
Le Tout-Paris des médias et de la politique se met à bruisser de notre liaison. Les conférences de rédaction à
Match
deviennent un enfer. Lorsque le sujet du couple Hollande/Royal est abordé, tous les regards se portent sur moi. Je ne baisse pas le mien, j’affronte. Mais à quel prix ?
C’est décidé, cette fois-ci, je veux le quitter. L’étincelle est un nouveau mensonge de sa part, un de trop, déjà. Je le quitte et je ne donne plus de nouvelles, pendant trois semaines. Je serre les dents. Un ami commun fait le lien, il me dit que François est malheureux comme jamais. Mais cette fois, je tiens… jusqu’au jour où il m’intercepte sur le chemin du marché, un dimanche matin. Il m’attend depuis des heures. Il me récupère à nouveau. Entre rires et larmes. Sa force de persuasion est nucléaire.
Son amour pour moi ne l’empêche pas de faire campagne pour Ségolène Royal après sa victoire lors des primaires. Il parcourt la France, presque sans journalistes, quand « la candidate », comme il l’appelle, est adulée dans les meetings. Il fait campagne corps et âme, je peux en témoigner. Nos rencontres sont rares tant il y met de l’énergie et du temps. Il veut que son camp gagne. À partir de janvier 2007, il est de plus en plus circonspect sur les chances de victoire.
La crédibilité de Royal commence à être atteinte, les sondages trahissent les doutes des électeurs. Combien de fois François me répète-t-il qu’elle n’a pas le niveau ? Il y a un monde entre une carrière politique classique et une candidature à l’Élysée. Il faut une maîtrise des sujets économiques et géopolitiques, une somme de connaissances et de relations qui ne s’acquièrent pas en quelques semaines.
On évoque les dissensions entre le parti et l’équipe de campagne, entre elle et lui. Ils n’ont quasiment aucun contact direct. Elle s’est installé un appartement dans son local de campagne. Il apprend parfois par des dépêches AFP de nouvelles promesses et découvre la dernière affiche après tout le monde.
Nous vivons un cauchemar public d’un côté, un rêve privé de l’autre. L’idée de nous retrouver après l’élection nous fait tenir. Au fond de moi, je suis convaincue que si elle est élue, il ne partira pas. Il a beau me le jurer, je ne le crois pas. Un matin, à un mois du premier tour, alors que nous avons réussi à passer la nuit ensemble, nous allumons la radio. Il est question du livre de campagne de Ségolène Royal, à paraître. Elle affirme que « oui, nous sommes ensemble, oui nous vivons toujours ensemble » et évoque un projet farfelu de mariage sur une pirogue à Tahiti. François est furieux, il se sent piégé.
Cela ne l’empêche pas d’être totalement abattu le soir du premier tour, lorsqu’il comprend que la victoire de Sarkozy est assurée. La suite, on la connaît. Quelques semaines après la défaite de Ségolène Royal, quelques lignes dans une enquête sur sa campagne,
Une femme fatale,
de deux journalistes du
Monde,
révèle notre relation sans me nommer et met le feu aux poudres.
Dans la foulée, Ségolène Royal annonce lui avoir « demandé de quitter le domicile conjugal ». La phrase est aussitôt transformée en dépêche « urgent » par l’AFP, alors qu’ils s’étaient mis d’accord pour un communiqué commun.
C’est de bonne guerre et je comprends aujourd’hui à quel point la trahison peut amener à tant de ressentiment. J’imagine que François a dû se comporter avec elle durant toute cette période comme avec moi depuis le début de sa liaison avec Julie Gayet, c’est-à-dire comme le roi du double discours, de l’ambiguïté et du mensonge permanent.
Nous avons à cette époque un petit meublé que j’aime beaucoup. Mais François ne veut pas y rester. Il veut que nous nous installions vraiment ensemble. Ce sera donc rue Cauchy. Nous passons du temps à arranger cet appartement. Il me revient à ce moment-là que le bruit circule qu’il regrette sa séparation, qu’il aimerait retourner auprès d’elle. C’est ce que laisse entendre Ségolène Royal. Pourtant, je ne l’ai jamais vu si présent et François me demande même avec insistance de lui faire un enfant. Tout est possible, y compris que Ségolène Royal dise vrai… Je connais désormais la duplicité de François Hollande.
Ses enfants lui manquent. Il ne les a pas vus depuis des mois et ils refusent en bloc de le revoir tant qu’il reste avec moi. Je ne veux pas porter la responsabilité de cet éloignement. J’explique à François que je suis d’accord pour un nouvel enfant, mais uniquement lorsqu’il aura retrouvé les siens.
Rien ne compte plus à mes yeux que les enfants. Mes trois garçons sont en garde partagée. Ils me manquent déjà la moitié de la semaine. Lorsque les liens auront été renoués avec les siens, nous tenterons d’avoir le nôtre, mais pas avant. François se réconcilie avec ses enfants. La nature ne nous a pas donné celui dont il rêvait depuis notre rencontre. C’est sans doute mieux ainsi.
Récemment, je lis dans un livre qui lui est consacré, qu’il a confié à l’auteur ne jamais avoir eu de désir d’enfant avec moi. J’en suis mortifiée. Il se défend :
– Je n’allais pas raconter notre intimité.
Un mensonge de plus, et l’un des plus blessants qui soient.
J
uin 2014. Impossible d’allumer la moindre radio sans
entendre parler de la commémoration du débarquement allié en Normandie, le 6 juin. Avec mon équipe, nous avions réfléchi au programme des premières dames ce jour-là. Nous avions envisagé d’aller visiter une usine qui avait pu continuer à tourner pendant la guerre grâce à la présence des femmes, quand les maris, frères et fils étaient au combat.
C’est comme si je revivais un accident. Je n’arrive pas à écouter la moindre information sur cette journée sans plonger dans une tristesse sans fond ni retour. Le passé ne cesse de m’envahir, de m’étouffer, comme une vipère s’enroulant autour de mon cou.
Je me retrouve au lit chaque après-midi, incapable d’avancer, de lire, d’écrire. Rien, je ne peux rien faire. Lorsque je sors, personne ne voit rien. On me trouve même radieuse. Je suis incapable de me projeter dans l’avenir. Mes projets professionnels restent flous. À part rester au lit ce vendredi avec quelques somnifères, je ne vois pas comment traverser cette journée. Encore une fois, des amies me sauveront de ce jour maudit qui me ramène tant au passé.
Comme pour jeter du sel sur mes plaies, François continue à me harceler par
sms.
Avant-hier, il m’assure ne penser qu’à moi. Hier, il me supplie de le revoir. Ce matin, il m’écrit qu’il veut me retrouver quel que soit le prix à payer. Parfois, il m’envoie des dizaines de textos par jour. Des phrases courtes et lancinantes sur le manque, la réparation, le besoin de reprendre notre vie d’avant. Il semble las de tout perdre, à la fois dans sa vie privée et dans sa vie publique.
Quand il n’a pas de réception ou de dîner officiel, il me propose de dîner avec lui. Il essaie de surveiller mes sorties, mes déplacements. À New York, comme à Marrakech, des fleurs de sa part m’attendent dans ma chambre d’hôtel sans que je lui donne le nom de l’endroit où je descends. Il multiplie les gestes symboliques et les déclarations enflammées.
Mais il continue à me mentir, à faire des promesses qu’il ne tient pas. Il me paraît impossible de revenir vers lui, je sais qu’il ne changera pas. Pendant qu’il me supplie, il transforme « l’aile Madame » en bureaux pour ses collaborateurs dont le nombre ne cesse de grandir. Personne n’est encore dans mon ancien bureau. J’attends.
Il assure être prêt à des excuses publiques. Je n’y crois pas. Je ne crois plus à aucune de ses paroles. Chacun de ses mensonges a lacéré cet amour immense que nous avions l’un pour l’autre.
Le 6 juin, plusieurs événements se télescopent une fois de plus. Les célébrations pour les soixante-dix ans du D-Day débutent. Comme je l’appréhendais, je ne peux pas écouter la moindre information à ce sujet. Encore moins voir la moindre image. La veille, j’ai écrit un tweet à propos de Poutine après son interview sur TF1 : « Heureuse de ne pas avoir à serrer la main de Poutine. » Ses propos phallocrates – bien ou mal traduits – m’ont révoltée. Mais pas seulement. L’ensemble de son œuvre m’a poussée à écrire ces quelques mots : le racisme et l’homophobie, le désir de conquête territoriale en Ukraine, les privations de liberté…
Les commentaires sont partagés. Je suis soutenue par une partie des anonymes et insultée par d’autres, toujours sur le même thème : « Au nom de quoi prenez-vous la parole, vous n’êtes rien, vous, la cocue de la République. » Que leur répondre ? Je m’exprime comme les sept millions de personnes qui utilisent ce réseau social ; ils sont libres de m’ignorer.
J’apprends que
Closer
annonce en une que François voit toujours Julie Gayet en cachette. Il me jure aussitôt par texto que non, que tout est faux. J’ai l’impression de revenir des mois en arrière, au moment où il démentait avec acharnement la rumeur persistante, cette « faribole ».
Il m’assure que cette fois, il ne ment plus, qu’il n’a plus de raison de le faire. Je recherche sur l’écran de mon téléphone. Je trouve ses messages amoureux de la veille, où il me promet qu’il me retrouvera où que je sois, que nous revivrons ensemble. Cette histoire devient folle, un trompe-l’œil et un jeu de miroirs dans lequel il est impossible de distinguer la vérité.
François se démène. Entre son dîner avec Barack Obama et son souper avec Vladimir Poutine, il trouve le temps de m’écrire un nouveau texto pour démentir les informations du jour et m’assurer que je suis l’amour de sa vie. Tout se superpose et le temps se dilate. Le président de la République essaie de ranimer notre histoire d’amour qui n’en finit pas de finir, tout en traitant des affaires du monde les plus sensibles, à la veille de commémorations majestueuses. C’est un politique, capable de mener deux ou trois vies parallèles, d’agir sur tous les fronts à la fois.
Qu’il me mente ou non, après tout, cela change-t-il quelque chose pour moi ? J’ai décidé de tourner la page. Ce nouveau rebondissement m’y aide, évidemment. Il me convainc que François ne changera jamais. Que le mensonge est ancré en lui, comme le lierre se mêle à l’arbre. « Les hommes de pouvoir perdent très vite le sens des limites », m’explique le psychiatre qui m’a suivie après l’hospitalisation. On appelle cela « le syndrome du gagnant ».
J’ai assisté au changement de cet homme. En 2010, lorsque nous arrivons à l’université d’été du PS à La Rochelle, il a beaucoup maigri. Je l’ai encouragé, aidé, mais pas forcé. Nous sommes tous les deux au mieux de notre forme. Nous avons passé un mois et demi de vacances. J’essaie de le préparer aux réactions de la presse et aux interprétations qui vont être faites de ce changement physique. Il n’y croit pas. Il trouve stupide qu’on puisse penser qu’il serait candidat parce que la balance affiche douze kilos de moins. Mais c’est bien ainsi que tous les journalistes et de nombreux électeurs socialistes comprennent son changement physique, comme une preuve de détermination.
Il est la vedette de cette rentrée. Après cinq ans de disgrâce et de désert, il tient un début de revanche. On me prête alors une influence positive sur lui. Ces commentaires favorables ne dureront pas. Le nouveau look, le choix des cravates et l’abandon des chemisettes, cela peut relever de mon domaine. Mais rien de plus.
La bande de machos qui l’entoure ne veut pas entendre parler de moi sur le plan politique, alors que je suis journaliste politique depuis dix-huit ans. Je participe donc à très peu de rencontres avec ses « amis ».
François tient cependant à ce que j’assiste à une réunion importante, lorsqu’au début de 2011 se décide la façon dont il va annoncer sa candidature.
Nous ne sommes pas plus de huit participants (je suis la seule femme), pour garantir un minimum de confidentialité. Il y a là ses quatre plus proches amis politiques et deux spécialistes de la communication. Je me sens petite chose parmi eux.
Jusqu’au moment où ils dévoilent leur plan : une interview dans la presse quotidienne régionale. Je n’en reviens pas de tant de banalité. Je leur rappelle que c’est de cette façon que Jacques Chirac s’était lancé dans la course en novembre 1994.
– Mais il s’agit de prendre le moins de risques possible, me rétorque l’un d’entre eux.
– Alors autant ne pas être candidat, s’il ne faut prendre aucun risque.
Je pense qu’à partir de ce jour, ils m’ont regardée d’un mauvais œil. J’ai osé défier cette bande de coqs qui rêvaient du pouvoir sans y être préparés. François envisage d’abord une déclaration solennelle depuis son fief de Tulle et cette idée me paraît bien meilleure. La conversation continue sans qu’aucune décision ne soit prise. En sortant, François me demande ce que j’en pense :
– La meilleure solution est celle que tu sens, toi. Tu seras bon, je n’ai aucun doute.
Et l’hypothèse de Tulle est retenue.
Cependant le chemin est long et peu fréquenté. Personne ne prend au sérieux sa candidature aux primaires socialistes. François a mis pour condition son élection à la tête du Conseil général de Corrèze. Pour tout le monde, il s’agit d’un faux challenge, mais le risque est réel. Il saute ce premier obstacle.
Le jour de l’annonce de sa candidature, le 31 mars 2011, nous convenons ensemble que je ne serai pas présente. Il ne veut pas donner le sentiment d’un couple partant en campagne. Quant à moi, je poursuis encore mon émission politique, « Portraits de campagne », sur Direct8, il est difficile de m’afficher à ses côtés. C’est l’un des pires moments de frustration de ma vie, une torture de ne pas être sur place.
Je prévois de regarder en direct sur mon ordinateur, enfermée seule dans mon bureau de
Paris-Match.
Heureusement qu’un confrère me prévient que l’heure de la déclaration est avancée. Sinon, je l’aurais ratée. Aucun membre de son équipe ne songe à m’avertir. J’ai juste le temps de prendre le train en marche.
« Je n’accepte pas l’état dans lequel se trouve la France, je ne me résous pas à ce pessimisme… Je ne supporte pas la souffrance dans laquelle vivent trop de concitoyens. » Le ton est ferme et bon, 8 minutes 17 secondes durant. « Mettre la France en avant », martèle-t-il avec une assurance nouvelle. « J’ai décidé de présenter ma candidature à l’élection présidentielle à travers la primaire socialiste. » Les applaudissements fusent en même temps que les « François Président ».
Je m’effondre en larmes, d’émotion et d’immense frustration mêlées. Je regrette tellement de ne pas être à ses côtés. J’attends son appel avec une fébrilité de jeune fille. Il viendra mais sera tellement bref, François s’apprête à monter dans la voiture avec un journaliste pour rentrer à Paris. Pas le temps de badiner. Je l’attends pour le dîner, nous avons prévu d’aller au restaurant pour fêter ça. Lorsqu’il arrive, nouvelle déception. Son équipe a prévu de le faire partir pour Boulogne-sur-Mer, je crois, afin qu’il soit avec les pêcheurs dès l’aube. Il ne dispose que d’une demi-heure. Encore une fois, personne ne pense à me prévenir avant. Pas même lui.
J’appelle Stéphane Le Foll et nous avons une violente altercation. Il me déclare que désormais si je veux une soirée avec François, il faut que je passe par lui. Impensable. J’accepte l’idée de la campagne, je veux bien que notre vie privée ne soit plus la même. Mais il est hors de question de demander un rendez-vous à qui que ce soit pour le voir. Le Foll et moi restons campés sur nos positions, car nous savons que le terrain perdu par l’un ou par l’autre ne se rattrapera plus.
François coupe finalement la poire en deux, comme il sait si bien le faire. Nous allons dîner ensemble en amoureux, il prend la route ensuite. Tout est dit : nous allons devoir les uns et les autres vivre avec l’incertitude, au gré des décisions ou des non-décisions de François.
Un sentiment de perte naît en moi à ce moment-là. Plus la campagne pour les primaires avancera, plus j’aurai l’impression, non pas de sortir du film, mais d’entrer dans un film muet. Je ne suis au courant de rien ou presque. Je n’accompagne pas François dans ses déplacements, pour rester discrète.
Je suis seulement présente au premier meeting à Clichy. Au fond de la salle, comme une inconnue. Tellement inconnue que j’attends François une heure et demi à la sortie dans ma voiture, après qu’on m’a vidée des lieux parce que le théâtre ferme. François est dans une salle annexe, avec les journalistes, sa compagnie préférée. Il ne me prévient pas. Sa candidature l’envahit, je passe dans le décor, dans l’arrière-salle.
Ah l’entourage ! D’un côté, ils sont nombreux à venir me dire que je l’ai transformé. De l’autre, sa garde rapprochée m’éloigne autant que possible. Pas question que je leur prenne « leur François ». Une rivalité se met en place. Classique. Mais que veulent-ils ? Que croient-ils ? Sommes-nous sur le même registre ? Évidemment non. C’est puéril.
Beaucoup doutent de l’avenir de sa candidature. Lorsque sont organisées les premières rencontres de « Répondre à gauche », le club politique des Hollandais, les rangs sont plus que clairsemés. Je suis là, toujours au dernier rang. Il fait comme si nous ne nous connaissions pas. Je mets cela sur le compte de la pudeur. Il commence à exposer ses thèmes de campagne autour de la jeunesse, mais devant un public clairsemé. Même les journalistes sont rares.
Les sondages ne décollent pas. Il reste stoïque, ne montre aucun signe de découragement, même devant moi. Il reste impressionnant de détermination. Pour la presse, la vraie campagne ne commencera qu’avec l’entrée en lice de Dominique Strauss-Kahn. Le milieu parisien me sonde afin de savoir si François va aller jusqu’au bout. J’ai beau leur répéter que oui, personne ne me croit. J’en suis pourtant convaincue, je le sais déterminé comme jamais.
Il est certain de battre DSK. Il sent ce besoin de gauche, cette nécessité d’aller à l’encontre du personnage de Sarkozy, sa démesure, sa fascination pour l’argent, ses transgressions. Pour François, DSK et Sarkozy sont similaires. Combien de fois sur des marchés, des gens l’arrêtent en lui disant :
– Vous, au moins, vous êtes comme nous.
Ou encore :
– Le cow-boy, nous, on n’en veut pas.
Un rendez-vous secret est organisé entre DSK et lui par l’intermédiaire de l’écrivain Dan Franck, à son domicile, face au restaurant La Closerie des Lilas. Je dépose François avec ma voiture et vais l’attendre au bar. « L’Américain » voulait sonder « le Corrézien ».
François me dit ensuite avoir confirmé qu’il ne se retirerait pas. Ce n’est pas l’interprétation de DSK. Qui dit vrai ? Ils ne sont que deux pour cette partie de poker menteur.
Le 15 mai 2011, comme souvent le week-end quand il fait beau, nous allons dans ma maison de L’Isle-Adam. Il aime s’occuper du jardin, faire le marché le dimanche et nous faisons ensuite honneur à la viande de Jean-Jacques, mon boucher favori depuis des années. Il l’est d’ailleurs toujours !
Ce samedi-là, nous nous couchons un peu avant minuit. Je garde toujours près de moi mon téléphone portable, comme n’importe quelle mère inquiète quand ses enfants sont sortis.
Une heure plus tard, alors que je commence enfin à trouver le sommeil, mon téléphone se met à vibrer. Un ami, présent au festival de Cannes où je dois me rendre le lendemain pour mon émission, m’avertit de l’arrestation de Strauss-Kahn. Puis un deuxième et un troisième messages. Je réveille François. Je lui explique de quoi il s’agit.
– Rendors-toi, tout ça ce sont des conneries, me dit-il en me tournant le dos.
Jamais il n’a voulu entendre les rumeurs concernant les écarts sexuels de son rival. C’est l’une de ses qualités, il n’écoute pas les mauvais bruits de la ville, surtout quand il s’agit de salir. Il replonge dans le sommeil. Impossible pour moi. Je pianote sur Internet et je trouve des sources plus fiables, de grands journaux américains.