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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (15 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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Je ne me souviens plus de l’heure, 2, 3 heures du matin ?

Je le réveille à nouveau :

– Je t’assure, il se passe quelque chose de grave, la presse américaine l’annonce : Strauss-Kahn a été arrêté pour viol.

Cette fois-ci, il bondit, se cale contre l’oreiller et regarde à son tour son iPhone. Pas une minute à se gausser de DSK, François est déjà mentalement dans le coup d’après.

– Ce n’est pas une bonne nouvelle, il risque d’y avoir un réflexe de légitimité autour de Martine Aubry.

Nos téléphones se mettent à sonner tous azimuts, des appels de sa garde rapprochée et des journalistes qui veulent des déclarations. Nous ne fermons pas l’œil de la nuit ou presque. Chacun connaît le délire médiatique qui suit, cette boule de neige planétaire, où des milliers de journalistes, vrais et faux enquêteurs, épaulés par des centaines de commentateurs plein d’aplomb, se lancent dans une surenchère d’« informations ». Les experts surgissent de nulle part, on assiste à un nombre incalculable d’heures de direct, avec l’éternel ballet de voitures aux vitres teintées et d’événements de vingt secondes passés en boucle, pendant que des dizaines de rumeurs invérifiées sont aspirées et recyclées par la machine folle. Je n’imagine pas qu’un jour je serai concernée à mon tour par cette dinguerie.

François est totalement déstabilisé. Il a construit son plan de campagne contre DSK, il faut tout rebâtir. Comme il le redoute, des voix s’expriment pour demander l’arrêt des primaires et la désignation de la première secrétaire du PS, Martine Aubry, comme candidate unique.

Le premier à la soutenir est Claude Bartolone. Quelques jours plus tôt, il a dîné à la maison avec sa femme. Il a annoncé qu’il opterait pour DSK mais que si ce dernier renonçait, ce serait François et en aucun cas Martine Aubry. Il critique ce soir-là Aubry en disant qu’elle est « folle et instable » et l’attaque sur son comportement privé. François n’était donc que le deuxième choix de Bartolone mais sa franchise m’avait plue. Le même homme retourne sa veste avec une facilité déconcertante. Je ne peux pas comprendre une telle trahison. Je lui dis ce que je pense par
sms.
Mais ce n’est là qu’un échantillon du comportement humain dans le vivier vipérin de la politique.

L’entrée en campagne pour les primaires de Ségolène Royal vient compliquer encore la situation… Nous sommes à la fin de juin 2011. Jusqu’au dernier moment, François est convaincu qu’elle va renoncer. Il se trompe. La presse se réjouit de ce combat entre les deux « ex ». Les primaires menacent de se transformer en un face-à-face exceptionnel, une revanche à prendre sur 2007, la défaite et la séparation.

En fait, l’affrontement tourne court. Ségolène Royal est sans pitié et déclare à la télévision : « Citez-moi une seule réalisation de François Hollande en trente ans de vie politique ? » Son outrance facilite le duel. François ne rétorque jamais. Il sait qu’une attaque frontale serait mal vue par l’opinion. Et puis, il y a les enfants qui doivent vivre un moment douloureux. Lorsqu’ils viennent déjeuner ou dîner rue Cauchy, le sujet n’est jamais abordé. Pas en ma présence, en tout cas.

Après le premier tour, François et Martine Aubry restent seuls en lice. Par la radio, au volant de ma voiture, j’apprends que François a conclu un accord avec Ségolène Royal. Je suis si stupéfaite que je suis à deux doigts de heurter le véhicule qui me précède. Il ne m’a rien dit.

Je comprends à nouveau qu’il est incapable d’aborder les choses clairement, même les plus simples. Je sais ce que Ségolène Royal lui a demandé en échange de son ralliement, y compris financièrement, et je ne doute pas qu’elle ait obtenu gain de cause.

J’écris un tweet pour la féliciter de « son ralliement sincère et désintéressé ». Mon ironie n’est compréhensible que d’un petit cercle d’initiés. À l’époque, je pense que l’apaisement m’oblige à accepter les dissimulations et les non-dits de François et que je dois passer outre. Aujourd’hui je sais le prix des mensonges. Je ne les supporte plus.

Je suis pourtant François dans sa campagne comme on s’accroche à un homme aimé qui vous entraîne. Je l’accompagne dans son rêve. La réciproque n’est pas vraie. Lorsque j’abandonne mon émission politique à la rentrée 2011, quand la primaire socialiste bat son plein, je m’oriente vers des interviews d’artistes, toujours sur Direct8.

Je mène une émission intitulée « Itinéraires ». J’y interviewe Joey Starr, Maïwenn, Jamel Debbouze et d’autres, François n’en regarde aucune. Alors qu’un jour je lui parle d’« Itinéraires », il se tourne vers moi et m’interroge :

– C’est quoi, « Itinéraires » ?

Je suis stupéfaite : l’homme de ma vie ne connaît même pas le nom de l’émission que j’anime. Rien de ce que je fais ne l’intéresse, pas plus mon travail à la télévision que mes chroniques littéraires dans
Paris-Match.
Il ne les lit pas. Je le vois sauter les pages culturelles pour aller plus vite à la rubrique politique.

J’avais tellement d’importance à ses yeux autrefois quand j’étais journaliste politique. Rien ne passionne François en dehors de la politique. Rien ni personne. La littérature ne l’intéresse pas, pas davantage le théâtre ou la musique. Un peu le cinéma, peut-être. Son cercle d’amis s’est arrêté à la promotion Voltaire. Hors de la politique point de salut. Personne n’a plus de valeur qu’un journaliste politique. Lorsqu’on m’interroge pour savoir si les journalistes peuvent être jaloux de moi, je réponds que non, c’est l’inverse. Que moi, je suis jalouse d’eux. De la complicité qu’il partage avec nombre d’entre eux, de la fascination qu’ils exercent sur lui. J’en croise d’ailleurs certains à la maison, venus conseiller le candidat…

Malgré cela, je persiste à être amoureuse de lui. Exclusivement amoureuse de lui. Les vacances d’été qui suivent l’annonce de sa candidature n’en sont pas. Il ne veut pas quitter la France et compte faire campagne pendant cette période. Il nous rejoint à Hossegor, là où je loue une maison pour les vacances avec mes enfants. Quand ils partent retrouver leur père, nous sillonnons tous les deux l’intérieur du pays basque que je connais peu.

Nous trouvons une petite auberge, le rêve pour moi. Chaque étape est une occasion pour lui de rencontrer les élus, de tenter de les rallier à sa cause. C’est ainsi que nous nous retrouvons à assister à une pastorale, quatre heures de chants basques par 14 
o
C, en plein mois d’août. Une opération utile, le sénateur s’est rallié ! Chaque voix compte et je le comprends.

François tisse sa toile. Patiemment. Nous allons ensemble à Latche, l’antre de François Mitterrand. Son fils Gilbert Mitterrand nous reçoit. Danielle est là, affaiblie mais heureuse, entourée de ses petites-filles et ses arrièrespetits-fils. Elle nous reçoit chaleureusement. Nous n’étions jamais venus, ni lui, ni moi. Quelle émotion de découvrir ce lieu, cette bergerie, là où Mitterrand aimait se retirer.

Rien n’a bougé. Pas même sa collection de livres de poche. Il a reçu là plusieurs chefs d’État. Gilbert tient à garder le lieu tel qu’il est, avec sa poussière, comme si le temps s’était arrêté. Les ânes portent toujours les mêmes noms, « Noisette » et « Marron ». Les animaux n’étant pas immortels, ils ont été remplacés depuis la mort de leur propriétaire. Les arbres sont « ses » arbres, ceux à qui Mitterrand parlait. Ils sont enracinés comme Mitterrand le sera toujours dans l’Histoire. Je mesure ma chance d’être là, de commencer à vivre une aventure hors norme.

Au lendemain de sa victoire contre Martine Aubry, François est heureux comme jamais. Après une courte nuit, nous restons un moment au lit, en écoutant les radios. Les journaux d’information ouvrent sur sa désignation comme candidat PS. Son visage irradie d’un bonheur intense. J’ai toujours cette photo dans la mémoire de mon iPhone… Une image de béatitude, de plénitude. Une expression que je ne lui ai encore jamais vue. Depuis le premier jour, je suis convaincue que s’il remporte la primaire socialiste, il gagnera l’élection présidentielle. Je n’ai aucun doute là-dessus, et je crois que lui non plus.

Pendant toute la campagne officielle, il reste dans un état de concentration extrême et de maîtrise totale de lui-même. La position de favori comporte un risque : le moindre faux pas peut coûter cher. La semaine qui précède le grand meeting du Bourget, point d’orgue de sa campagne, François s’enferme trois jours rue Cauchy.

Aquilino Morelle, l’homme aux souliers cirés, a revendiqué la paternité du discours du Bourget. La vérité est tout autre. François travaille sur la table de la salle à manger, recouverte de notes. Des pages et des pages jonchent le sol. Je me réfugie dans la chambre pour ne pas le déranger. Je suis sa petite main : il vient me voir de temps en temps pour me demander de lui imprimer de nouvelles notes qui arrivent sur sa boîte mail, car il ne sait pas le faire seul.

Chaque heure, j’écoute la radio. Je mesure l’attente créée par son discours. Les commentateurs annoncent une déclaration qui comporte une part intime, celle qu’il n’a encore jamais livrée au public. L’élection présidentielle est la rencontre entre un homme et un peuple. Le soir, je lui demande s’il accepte de me faire lire son texte. Il me le donne. Je le lis et ne trouve rien d’intime, rien sur lui, rien sur son histoire. J’attends que nous soyons couchés et dans le noir pour lui donner mon avis :

– Pourquoi tu ne dis rien de personnel, rien sur ce que tu dois à tes parents ? Pourquoi tu ne dis pas que tu aimes les gens ? Tu vas décevoir tout le monde. Il faut donner de toi-même, c’est ce qu’on attend de toi.

François me répond à peine, mais je l’entends qui se lève et retourne travailler. Il me confie le lendemain la nouvelle mouture. C’est mieux, mais ce n’est pas encore assez. Je repars à l’assaut. Il approfondit encore. J’ai le sentiment de l’aider à accoucher de lui-même. Quelques paragraphes, rien de plus, mais qui feront la différence pour les journalistes.

Djamel Bensalah a réalisé le film de campagne qui sera diffusé devant les militants au Bourget et veut nous le montrer. François ne veut rien entendre, rien voir pour se concentrer sur son discours. Je demande à Djamel de m’attendre en bas de l’immeuble. Je regarde le film dans sa voiture, sur son ordinateur. Il est très réussi, très rythmé, il porte le souffle de la campagne. Cependant, je vois aussitôt un problème :

– Djamel, ce n’est pas possible. Il n’y a aucune image de Ségolène Royal ! Et c’est à moi qu’on va le reprocher.

– Ça n’a rien à voir ni avec toi ni avec elle. Ce n’est pas un documentaire d’archives. Volontairement, le film ne montre que des succès, c’est mon choix de réalisateur.

– Tout le monde va me tomber dessus.

J’insiste, mais il n’y croit pas. Il ne sait pas que la machine infernale est lancée : chaque mot, chaque fait est dépecé, analysé et surinterprété avec le filtre de notre histoire. J’ai vu juste. Le meeting du Bourget est une réussite éclatante, François est excellent, impressionnant, mais la seule ombre au tableau, c’est l’impair du film.

Au-delà de nos différends, j’imagine la morsure que Ségolène Royal a pu ressentir, elle, la femme politique orgueilleuse et finaliste de la dernière élection présidentielle, en découvrant ce film, qui ne comporte aucune image de sa campagne, au milieu de dizaines de milliers de militants en liesse…

Son entourage et la presse m’attribuent d’une seule voix son occultation. Djamel Bensalah m’envoie aussitôt un immense bouquet de fleurs pour s’excuser, mais la vérité médiatique l’emporte évidemment sur son démenti.

Cet épisode relance le feuilleton des relations Hollande/Royal. Au début de la campagne, François me donne sa parole qu’il ne fera jamais de meeting en commun avec Ségolène Royal, sinon en groupe avec d’autres leaders socialistes. Évidemment, pressions médiatique et politique obligent, une rencontre publique est quand même organisée, à Rennes, entre les deux candidats PS successifs à l’Élysée.

Nous traversons ce jour-là quelques heures éprouvantes d’hystérie collective à laquelle se mêle la mienne. Je ressens au sens littéral du terme la définition du dictionnaire, c’est-à-dire
« des excès émotionnels incontrôlables »
 : il m’est physiquement impossible de les voir tous les deux main dans la main sur scène, alors que justement tout le monde veut ce geste, les médias comme les militants. Je suis impuissante devant ce désir collectif de les voir côte-à-côte.

Je suis à peine arrivée au parc expos de Rennes qu’un journaliste suivi d’un caméraman me saute dessus et m’apostrophe :

– Qu’est ce que ça vous fait de voir le couple Hollande/Royal se reconstituer ?

Comme un uppercut, c’est la question qui fait mal, sans détour, sans pudeur. Je lui tourne le dos en silence. Un masque à l’extérieur, le feu à l’intérieur. Un autre journaliste m’accompagne à ce moment-là et je me souviens encore de son regard effaré quand il me dit :

– Je comprends maintenant ce que vous vivez.

Voyant ma fébrilité, l’équipe de François me propose de l’accompagner lors de sa traversée de la salle immense. Je trouve ça grotesque et refuse. Je reste enfermée dans la loge, dans un état de tension extrême, le temps du discours de Ségolène Royal et du passage de relais de l’un à l’autre. Le matin, François m’a apporté des garanties : tous les deux ne seront pas ensemble sur scène, ils se comporteront en politiques et non en people… Nous avons un échange tendu dans la loge. Le ton monte. Je connais suffisamment le caractère de Ségolène Royal pour savoir ce qui va advenir. Contrairement à ce qui a été convenu, elle revient évidemment sur scène pour se faire acclamer avec lui. C’était tellement prévisible ! Elle ne peut pas résister devant une si belle occasion de partager la lumière et de réaffirmer sa prééminence. Je touche le fond, envahie par le sentiment que François et moi nous ne formerons jamais un couple reconnu.

Alors que j’ai l’impression d’être anéantie, une idée germe en moi. Lors du meeting du Bourget, je suis allée à la rencontre de Ségolène Royal, mais elle s’est détournée en me voyant arriver. Je n’ai donc pas insisté. Je sais qu’elle refuse de me serrer la main. Je décide de la coincer. J’attends qu’elle regagne sa place. Je fais signe à quelques photographes et je m’avance droit vers elle. Je lui fais un coup… à la Royal. Elle est obligée de me serrer la main. C’est puéril de ma part, je le sais. Mais je suis satisfaite : cette image-là restera aussi.

L’épisode de Rennes n’est glorieux pour personne, et d’abord pas pour moi. J’ai perdu le contrôle de mes émotions. Je me sens tellement mal d’être à fleur de peau, tendue comme un arc. Et je mesure une fois de plus combien le double langage permanent de François me fait souffrir. Il ne sait décidément pas gérer la situation entre la mère de ses enfants et moi, et il ne fait rien pour me rassurer. Et moi je n’ai ni les ressources, ni une confiance en moi suffisante pour passer outre. Je comprends que la dimension publique et médiatique de cette histoire nous condamne à vivre sur un champ de braises, dans l’inconfort permanent.

BOOK: Merci pour ce moment
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