Merci pour ce moment (19 page)

Read Merci pour ce moment Online

Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
5.32Mb size Format: txt, pdf, ePub

– Et moi ? Quand je me fais traiter de première pute de France, on ne touche pas à ma dignité ?

D’une même voix, François et son ministre de l’Intérieur se récrient :

– Ça n’a rien à voir.

Non, rien à voir, lui est un homme politique drapé dans son honneur et moi une femme sans statut, une poupée vaudou que l’on peut insulter et traîner dans la boue. Je ne relève pas. Je suis convaincue que Jérôme Cahuzac va tomber. Je persiste :

– Je suis sûre qu’il ment.

Chacun reste sur ses positions. Les deux hommes le couvrent parce qu’il est l’un des leurs, un politique et un ami. Manuel Valls finira par lâcher à son propos :

– On tient, on tient, jusqu’au moment où on ne tient plus.

Deux semaines plus tard, alors que nous sommes tranquilles rue Cauchy, Jérôme Cahuzac demande à voir François en urgence. Il débarque dans l’heure, je lui ouvre la porte de l’appartement. Il est nerveux et sans voix. Je lui propose un thé au miel et au citron, qu’il accepte. Je le lui sers et me retire dans notre chambre pour les laisser en tête-à-tête. Au moment de son départ, je reviens le saluer. Je referme la porte et questionne François :

– Que voulait-il ?

– Rien de spécial.

– C’est impossible, il ne vient pas déranger le Président un

dimanche, juste pour prendre le thé.

– Il s’attend à ce que d’autres éléments tombent.

Je n’en apprends pas davantage. Mais François perd l’occasion de sceller son sort à ce moment-là, de devancer l’événement. Lorsque, deux mois et demi plus tard, le 19 mars 2013, le parquet de Paris annonce l’ouverture d’une instruction judiciaire contre X pour blanchiment de fraude fiscale, Jérôme Cahuzac démissionne.

Le choc est violent pour François. Est-il vraiment resté incrédule jusqu’au bout ? Pourquoi n’a-t-il pas tranché dans le vif dès la visite de Jérôme Cahuzac ? Il n’aime pas les affaires de police, les dossiers et les rumeurs. Peut-être n’avait-il pas envie d’y croire. Lorsque je le retrouve, j’ai droit à sa phrase rituelle :

– Tu avais raison, mais comment avais-tu vu qu’il mentait ?

Je ne comprends pas son aveuglement ou sa naïveté. Pourtant je me suis laissée abuser à mon tour par les mensonges de François, « les yeux dans les yeux ». Son regard planté dans le mien. Chacun voit ce qu’il veut bien voir.

L’affaire Cahuzac est dévastatrice. François se ferme comme une huître. Personne ne parvient à le sortir de cet état de sidération. Ses plus proches conseillers m’appellent à l’aide. Ils ne savent plus comment l’aider à rebondir. L’un de ses collaborateurs m’avoue ne plus en pouvoir de ce président qui travaille en « copie cachée ». Avec moi, c’est la même chose, il s’enferme de plus en plus dans le mutisme et l’opacité. J’ai le sentiment d’être un meuble. Et encore. Sa cote décroche à nouveau brutalement. Il envisage un grand remaniement et le départ de Jean-Marc Ayrault. Tout le gouvernement est recomposé dans son esprit, avant qu’il change d’avis, encore une fois. La décision durable n’existe pas chez lui.

Il lui faut du temps pour sortir de cette période noire. L’Élysée est devenu un enfer. Les premières semaines après l’élection, j’avais eu envie de participer à tous les événements. C’est un rêve de journaliste : traverser le miroir. L’excitation m’a passée. Je ne mets quasiment plus les pieds aux remises de décorations. Je prends plus de temps pour ce qui me tient à cœur : l’humanitaire, les enfants et le social. Le jeu des conseillers, les luttes d’influence, les médisances, je sais désormais comment ça marche. Ça me suffit. Et François n’a pas envie que je trouble ce jeu-là, ni que je l’accompagne en public.

Pour être honnête, il connaît parfois un regain de tendresse, parce qu’il me trouve belle, ce jour ou cette heure-là. Il me regarde à nouveau avec ses yeux étincelants, il me prend la main dans un moment furtif, comme avant. Notre passé lui revient-il soudain à l’esprit ? Jamais il n’a pu douter de ma sincérité et de ma fidélité. Ces moments de grâce revenue me comblent. Je chasse les mauvais souvenirs, je les attribue à la pression, au poids des responsabilités. Il travaille comme un fou, le soir et le week-end, sans répit. Enfin, c’est ce qu’il me dit.

Et puis sans prévenir, il peut redevenir odieux. Comme ce soir de septembre 2013. Nous dînons devant mon bureau, dans le jardin, presque au pied du bonsaï géant que Bernadette Chirac a offert à son mari pour son anniversaire. Le samedi suivant, François doit se rendre aux jeux de la Francophonie à Nice. J’aimerais l’accompagner.

– Je ne vois pas ce que tu viendrais y faire, me rétorque-t-il avec méchanceté.

– C’est un samedi soir, il y aura un spectacle, nous pouvons y être ensemble.

– Tu n’as rien à y faire, c’est non.

Je sens que cela n’est pas négociable pour lui. Je ne comprends pas. Non seulement il ne cède pas d’un pouce mais il avance même son départ, pour être sûr de partir seul. Lorsque je devine son stratagème, j’appelle sa chef de cabinet pour lui dire que je vais être du voyage. La colère de François redouble.

– Je préfère annuler que d’y aller avec toi.

J’insiste. Il prétexte une visite chez son père et son frère.

Raison de plus pour que je l’accompagne.

– Tu m’élimines de ta vie publique et maintenant de ta vie privée, que me reste-t-il ?

Il se tait, buté. Pas une seconde je n’imagine qu’il va rejoindre une autre femme. Je suis secouée par une crise de désespoir et je me réfugie sous la couette. Il part en me voyant dans cet état. Je reste seule. Pris d’un accès de remords, il me propose par téléphone de le rejoindre dans la soirée avec un autre avion. C’est moi qui refuse.

Aujourd’hui, ces souvenirs me mordent alors que je sais son infidélité. Je revisite les mois, les semaines. Je comprends ce que je n’ai pas voulu voir, ou qu’il m’a dissimulé avec cette science du mensonge qu’il cultive depuis si longtemps. Dehors, c’est l’été, je me sens comme une terre brûlée. Je dors beaucoup, guettant le sommeil comme une bénédiction. Dormir sans rêver, sans la douleur qui creuse son sillon, sans la colère qui me ravage, le manque qui me dévore… Je me recouche le matin et même parfois l’après-midi.

Six mois déjà.

Chaque jour, François me supplie de le voir, de tout recommencer comme avant. Chaque jour, il m’envoie des messages me disant qu’il m’aime, il propose que nous nous affichions ensemble. Je refuse toutes ses suggestions. Il n’y aura plus jamais d’avant. Je me barricade dans mon refus de le revoir. Je redouble de fermeté et lui de douceur. Trop de mensonges, trop de trahisons, trop de cruauté. Je dois tenir. Faire sans lui. Vivre sans lui. Penser sans lui. Aimer sans lui. J’aurais pu décider de le croire et accepter sa proposition. Revenir par la grande porte. J’aurais pu savourer une revanche sur tous ceux qui s’étaient réjouis de mon départ. J’aurais eu quelques jours d’euphorie, et après ? Quelle aurait été ma vie sur le champ de cendre de nos amours brûlées ? Dans cet éphémère, je préfère la noirceur à la griserie. J’aurais pu récupérer « l’aile Madame ». Au lieu de ça, j’en ai désormais deux : deux ailes pour reprendre mon envol.

J
e retrouve mes amis du Secours populaire. Il n’y a rien
de mieux pour me sortir de ma léthargie et me redonner l’envie d’aller de l’avant. Nous préparons les soixante-dix ans de ce mouvement, issue de la Résistance. J’aime sa philosophie, j’aime ses dirigeants. Julien Lauprêtre est à la tête du « Secours pop’ » depuis bientôt soixante ans. Je l’appelle « mon Président ». Notre rencontre date d’octobre 2012. À l’époque, je commence à remettre timidement les pieds à l’Élysée, après la série de livres sur moi. La lettre d’excuses de Jakubyszyn, le coauteur du plus atroce de ces ouvrages, n’arrivera que des mois plus tard. Elle n’effacera rien du mal qu’il m’a fait, des ravages de ses propos diffamatoires.

Je ne sais pas encore quoi faire de ce rôle, à la fois beau et empoisonné, de première dame. Comme compagne du Président, je reçois beaucoup de cadeaux, le plus souvent des produits de beauté luxueux. J’ai envie de les donner à des femmes qui vivent dans la précarité. Mais il n’y en a pas suffisamment pour que ce don soit intéressant. Je sollicite donc de grandes marques, qui jouent le jeu. Mon bureau est vite envahi de cartons. François me demande même si j’ai décidé d’ouvrir une PME.

J’appelle alors le Secours populaire, en leur disant que j’ai une proposition à leur faire. Julien Lauprêtre vient avec trois de ses collaborateurs. Il me raconte d’abord son incroyable parcours, l’histoire du Secours populaire. J’appréhende sa réaction quand il va connaître mon idée, mais je me lance. Il est enthousiaste :

– C’est exactement ce que nous voulons, redonner de la dignité aux gens. Pourquoi ne venez-vous pas les distribuer vous-même ?

Je lui explique que je ne cherche pas à me mettre en avant, et que depuis mes débuts douloureux, je fuis la lumière des caméras. Il me convainc de m’engager et je lui dois beaucoup. Ce jour-là, Julien Lauprêtre m’aide à me remettre en marche.

Loin des médias, je vais apporter ces produits de beauté dans quatre foyers. Je rencontre des femmes isolées avec leur enfant, certaines sont venues se mettre à l’abri parce qu’elles ont été battues. Mes parfums et mes rouge à lèvres apparaissent comme bien peu de choses dans ces vies de misère, mais ils apportent ce superflu qui parfois permet de ne plus baisser les yeux.

Je me souviens du premier bâton de rouge à lèvres un peu raffiné que je me suis offert, du sentiment de féminité qu’il m’a donné. Jusque-là, j’empruntais ceux de ma mère ou de ma grand-mère, mémé Simone, à qui je prenais aussi une poudre de riz dont je n’oublierai jamais la bonne odeur, malgré la marque bas de gamme. Ma petite grand-mère, qui nous a élevés aux côtés de mes parents, n’était qu’une simple couturière avec ses doigts experts, mais elle était tellement coquette. Je porte toujours certains de ses tricots. J’ai précieusement conservé la layette de mes enfants qu’elle avait réalisée au crochet. J’ai encore le goût de la pastille Pulmoll que nous venions régulièrement lui quémander à la porte de sa chambre.

Ces souvenirs me rapprochent de ces femmes. J’aurais pu être une enfant du Secours populaire si ma grand-mère n’avait pas mis du beurre dans les épinards avec ses travaux d’aiguille. Nous avons eu la chance de partir en vacances chaque année au bord de la mer. Tant d’enfants ne l’ont pas.

En vingt mois passés à l’Élysée, mon meilleur souvenir reste d’ailleurs ma sortie à Cabourg avec… cinq mille enfants du Secours populaire. Je fais le voyage en car avec la fédération de Clichy-la-Garenne. Nous partons à 7 heures du matin. Au total, cent vingts cars quittent l’Île-de-France pour rejoindre la station balnéaire de Marcel Proust. Le départ est calme, les enfants dorment à moitié. Après la pause en-cas de compotes et de brioches sur l’autoroute, dans une mêlée de casquettes jaunes, rouges, bleues, vertes – chacune correspondant à un département –, l’excitation monte dans le car. Avant même d’entrevoir la mer pour la première fois, certains petits découvrent l’élégance des villas. J’entends une voix émerveillée :

– C’est beau ici, ils ont même une maison par famille !

Nous sommes loin des cités dont la plupart ne sont jamais sortis. Un autre petit garçon me confie :

– J’aimerais tellement revenir avec ma mère, qu’elle voit ça aussi.

Ce jour-là, je perçois la véritable misère en France. Je remarque des enfants qui cachent leur sandwich pour le rapporter et le partager chez eux. Je découvre des petits qui n’ont pas de maillot de bain et portent des vêtements usés jusqu’à la corde.

Avant de partir, je me demandais si une journée de bord de mer n’était pas dérisoire. Je comprends mon erreur. Une journée de bonheur, rien qu’une journée, leur permet d’ouvrir leur regard, de connaître un autre horizon que celui de la cité, et à la rentrée, ils pourront raconter, eux aussi, ce qu’ils ont fait d’extraordinaire pendant les vacances.

Je suis aussi heureuse qu’eux, en ce 28 août 2013. François Hollande n’a pas voulu prendre de vacances, mais je l’ai reçue ma JOV, la Journée des Oubliés des Vacances ! Les enfants ne connaissent ni mon nom, ni mon visage, mais ils ont été informés de mon rôle. Filles et garçons viennent à ma rencontre.

– C’est vrai que tu es la femme du Président ? Et tu viens nous voir ?

Sans le Secours populaire, ils seraient les oubliés tout court, ceux à qui on laisse tellement peu de chances de s’en sortir, enfermés dans leur tour de banlieue, qui borne leur horizon. Ceux que l’on relègue hors les murs, hors la ville, hors la vie.

Je relève le bas de mon pantalon pour goûter l’eau de mer. Entre la cohue des caméras et des enfants, je suis trempée, je risque même d’un cheveu de me retrouver entièrement à l’eau. Je reprends à peine mon équilibre qu’une petite fille fend le mur humain pour se jeter dans mes bras.

– Je te cherche partout depuis ce matin.

L’enfance est parfois le temps des résolutions que rien n’arrête. Houssainatou ne me lâche plus la main de la journée, transgressant les règles, car chaque fédération doit rester dans son espace. Le soir, nous avons du mal à nous quitter. Je n’ai pas son nom de famille, mais elle me colle sur toutes les images.

Au retour, je veux lui envoyer une photo et un mot. Il nous faut mener une petite enquête. Je lui écris :

– Tu m’avais cherchée sur toute la plage. Moi je t’ai cherchée dans toute l’Île-de-France.

Elle me répond une très belle lettre. Six mois plus tard, elle vient à l’Élysée pour Noël avec d’autres enfants du Secours.

Nous terminons la journée à Cabourg avec les bénévoles autour d’un vin rouge-saucisson. C’est cette gauche-là que j’aime, celle dont je suis issue. Puis, avant de reprendre la route pour Paris, avec mon équipe de l’Élysée nous nous offrons une petite pause, car nous n’avons pas pu toucher à la moindre nourriture tellement les sollicitations étaient nombreuses. Dans un petit restaurant, nous dévorons un menu camembert chaud-frites-andouille. Ça existe ! Quelle belle journée… Même si le lendemain, je découvre partout sur mon corps des hématomes : souvenirs des bousculades et des vives embrassades.

Après ma rupture avec François Hollande, le Secours populaire ne m’oublie pas. L’équipe dirigeante m’envoie des messages et les enfants des dessins. Nous avons beaucoup de projets ensemble. Je retourne cette année avec les enfants à Ouistreham. J’entraîne désormais mon amie Saïda dans ce bénévolat. Elle aussi aurait pu être une enfant du Secours populaire de Roubaix où elle est née. Nous partageons le même enthousiasme. Nous avons eu la chance de nous en sortir.

Être aux côtés de ces petits Français ne m’empêche pas de voir au-delà de nos frontières, là où le drame et la violence s’ajoutent à la misère. Peu m’importe la nationalité d’un enfant qui souffre. Chaque jour, je tente d’agir contre l’oubli des jeunes filles nigérianes enlevées par Boko Haram : elles sombrent dans l’indifférence générale. Elles sont pourtant le symbole de l’oppression des femmes dans le monde. Aujourd’hui, elles n’intéressent plus personne. Ni les grands de ce monde, ni les stars offusquées d’un jour. On laisse faire, comme on a laissé les femmes de République démocratique du Congo se faire violer par milliers.

En deux ans, je suis allée trois fois en RDC. Je découvre la tragédie des femmes de ce pays dans l’hôpital du docteur Mukwege à Bukavu dans le Sud-Kivu, là où les femmes sont systématiquement agressées. Elle sont violées dans chaque village, sur chaque piste. C’est dément comme un enfer peint par Jérôme Bosch, dans un décor tropical. Il n’y a pas de distinction d’âge, pas de coup de folie. Des hommes en armes massacrent systématiquement leur appareil génital pour les empêcher d’enfanter. Ils utilisent le viol comme une arme de guerre.

Jamais je n’oublierai le témoignage de cette grand-mère de soixante-dix ans qui n’osait plus se rendre aux champs après plusieurs viols. Ni celui de cette femme de trente-cinq ans, abusée par plusieurs hommes devant ses enfants et son mari assassiné ensuite. Comment effacer de ma mémoire les mots et les larmes de cette jeune fille de dix-huit ans, violée, un couteau planté dans le pied pour qu’elle ne s’échappe pas ? Sa petite fille, de deux ans à peine, l’enfant du viol, elle-même violée. J’entends encore ses hurlements, lorsque sa mère s’est mise à la déshabiller pour me montrer ses plaies.

Pourtant aguerri et tout à son combat, le docteur Mukwege a la voix qui tremble quand il évoque la recrudescence de viols d’enfants. On sent sa lassitude lui qui, depuis vingt ans, répare les femmes déchirées à coups de tessons de bouteille introduits dans leur vagin. Quand ce n’est pas avec des armes. Comme toutes les photos qui témoignaient de mes actions humanitaires, les visages de ces femmes ont été gommés, en un seul clic, du site de l’Élysée, mais elles vivent encore en moi.

Le médecin congolais ne peut vivre sans protection, après avoir échappé à deux tentatives de meurtre. Dans un pays en guerre civile, dénoncer un crime est un crime. Les femmes n’osent pas témoigner.

Denis Mukwege m’a été présenté par Osvalde Lewat, l’épouse de l’ambassadeur de France à Kinshasa. C’est une ancienne journaliste, réalisatrice et photographe de talent, nous nous sommes immédiatement senties complices. Elle soutient alors l’association VTA qui recueille des jeunes filles de la rue, chassées de chez elles car suspectées d’être enfants sorciers, parfois suppliciées. L’association leur permet d’échapper aux violeurs.

Alors qu’elles étaient réunies dans les jardins de l’ambassade, j’ai entendu l’une d’entres elles chanter d’une voix extraordinaire : « Non, non, nous ne sommes pas enfants sorciers ». Presque toutes les jeunes filles pleuraient ; la musique sublimait leur douleur. La délégation, le personnel de l’ambassade, les journalistes présents, l’émotion les parcourait tous comme une vague.

Je suis allée chercher François, je voulais qu’il écoute cette chanson. La jeune fille a recommencé. Le cliché de cet instant est paru à de nombreuses reprises. Nous sommes sur un banc à côté de deux petites filles. François a le regard dans le vide, il est ailleurs.

Où ?

Quelques mois après ma première visite en RDC, alors que j’accompagne François Hollande pour le sommet de la Francophonie, Osvalde me propose de rencontrer le docteur Mukwege. Immédiatement, je suis impressionnée par le fluide que dégage cet homme à la prestance magnifique. Son visage semble sculpté par l’humanité dont il fait preuve.

Il me demande de l’aide. Il ne veut pas d’argent, mais un relais pour que l’opinion sache que des dizaines de milliers de femmes sont victimes de crimes sans que personne ou presque ne bouge. Il pense que ma voix peut aider. Je lui promets d’agir. Nous publions une tribune dans
Le Monde
signée par de nombreuses personnalités. Avec la fondation Danielle-Mitterrand, nous envoyons quatre médecins français, dont le docteur Crezé qui l’a formé à Angers, pour renforcer l’enseignement dans son hôpital. Quatre médecins congolais sont ensuite accueillis au CHU d’Angers durant quatre mois.

Je me rends avec le docteur Mukwege devant le Conseil des droits de l’homme pour un
side event,
un événement parallèle pour plaider la cause des femmes congolaises. Pour la première fois, je fais un discours, je m’adresse à un parterre d’ambassadeurs et de responsables associatifs. Ma voix est mal assurée. Je recommence à New York, cette fois à l’ONU, devant les ministres des Affaires étrangères. Ma voix tremble toujours. C’est ce que j’ai vécu de plus impressionnant.

Je fais intégrer le docteur Mukwege à la délégation française pour qu’il puisse rencontrer le Président dans l’avion qui rentre à Paris, tandis que je reste vingt-quatre heures de plus à New York à l’invitation du ministre des Affaires étrangères anglais. Je réussis à voir François avant son départ pour l’en avertir. Il ne me pose pas une question sur ce que je viens de faire. Nicolas Sarkozy était venu écouter Carla. Je n’en demande pas tant, mais son indifférence une fois de plus me glace.

Le 6 décembre 2013, je poursuis le combat en faveur des femmes violées de RDC en réunissant les épouses des chefs d’État africains qui se sont retrouvés à Paris pour un sommet sur la sécurité. Nous, nous parlons des violences faites aux femmes pendant les conflits. Avec Osvalde et Arnaud Sélignac, nous avons réalisé un film coup de poing que nous diffusons. Près de vingt-cinq épouses sont présentes à notre « sommet de femmes ». Des victimes arrivent de Centrafrique et de Lybie pour témoigner. Nous signons une charte nous engageant à lutter contre ces violences, que je veux faire signer par toutes les premières dames du monde. L’épouse du Premier ministre finlandais et celle du japonais la paraphent aussi. Mais Nelson Mandela meurt ce jour-là. C’est un événement planétaire. Logiquement, la presse ne relaie quasiment pas notre événement.

Le soir, lors du dîner officiel en l’honneur des chefs d’État africains, les épouses font l’éloge à François de ce que nous avons organisé. Il me regarde avec des yeux ronds, il semble découvrir la chose…

Première dame n’est pas un statut, c’est un rôle incertain et flou, que chacune habite à sa manière. Jour après jour, j’apprends à trouver ce qui me convient, ce qui ne déclenche pas de polémiques ou du moins pas trop. J’aime me souvenir de cette journée fériée que nous avons passée avec mon équipe à remplir des cartons de livres et de jouets Écoiffier pour le Mali. Nous en avions récolté beaucoup, des dizaines et des dizaines de kilos que l’Armée française acceptait jusqu’à Bamako et Gao. Les opérations militaires sur place s’intensifiaient et il devenait déraisonnable d’aller sur le terrain.

Other books

Golden Delicious by Christopher Boucher
Nehru by Shashi Tharoor
The Dirty Dust by Máirtín Ó Cadhain
Don't Let Go by Michelle Gagnon
When Summer Comes by Brenda Novak