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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (12 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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Carla m’explique n’être venue que deux ou trois fois dans ce bureau. Nous nous installons dans le salon à côté, que l’un de mes fils nommera le salon Kadhafi à cause des canapés et tentures verts. Nous commençons à échanger, de façon franche et sincère. Je n’ai aucune animosité contre elle. Au contraire. J’avais acheté son premier disque, que nous écoutions en boucle à l’époque avec mon ex-mari.

Depuis des mois, sans nous connaître, nous avons l’une et l’autre adopté un pacte de non-agression. Comme en temps de guerre, je considère qu’on ne devrait toucher ni aux femmes ni aux enfants dans les joutes politiques. Jamais Carla Bruni-Sarkozy n’a publiquement dit de mal de moi et jamais je ne l’ai critiquée non plus. Elle m’explique combien cette période a été difficile pour elle. Elle a les larmes aux yeux.

– Je ne devrais pas le dire, mais je suis heureuse que tout ça s’arrête. Ce sera plus facile pour vous car les journalistes sont vos amis.

Je lui réponds que ce ne sera sans doute pas si simple.

Elle poursuit :

– J’ai peur que sans la politique, mon mari perde le sens de sa vie.

Je connais Nicolas Sarkozy depuis plus de vingt ans. Je l’ai interviewé dans son bureau de la mairie de Neuilly dans les années 1990 et revu très souvent, ensuite. La dernière fois, c’était peu de temps après son élection, en juin 2007. Ce jour-là, j’accompagne pour
Match
une délégation du Canada, avec à sa tête la gouverneure générale Michaëlle Jean, dans un cimetière canadien, en Normandie. Nous sommes tous en place quand Nicolas Sarkozy arrive et salue un à un les membres de la délégation. Arrive mon tour. Il m’apostrophe  :

– Ça va ? Tu es sortie de tous tes problèmes ?

C’est l’époque où notre vie commune avec François est notoire dans les milieux médiatiques, après le communiqué de Ségolène Royal qui a pris acte de la situation : « J’ai demandé à François Hollande de quitter le domicile conjugal. » Je réponds par un respectueux :

– Tout va bien, je vous remercie Monsieur le Président.

Il prend mon vouvoiement pour une marque de défiance. Je ne fais que respecter la fonction. Il insiste, je réponds toujours aussi sobrement.

Quelque temps plus tard, je me paie le luxe de me rendre aux vœux à la presse, début janvier 2008, alors que ma relation avec François Hollande a été révélée. Ça n’est plus un secret pour personne. Je regarde certains de mes confrères se battre pour lui serrer la main. Je n’en fais pas partie. Alors que j’attends mon tour pour reprendre mon manteau au vestiaire, il passe rejoindre son bureau, me voit, s’approche et me glisse à l’oreille :

– J’ai vu de belles photos de toi dans
Voici.

Le Président a donc le temps de lire
Voici…
François et moi nous étions fait paparazzer alors que nous passions, en amoureux, le nouvel an sur une petite île de Thaïlande.

Je connais donc bien « l’animal politique Sarkozy ». Quand Carla m’évoque la perte du sens de la vie, je lui réponds :

– Ce n’est pas à moi de vous dire qui est votre mari, mais je connais les hommes politiques de ce niveau, puisque je vis avec l’un d’entre eux. Ce sont des hommes qui ne pourront jamais arrêter la politique.

Je suis déjà et j’ai toujours été convaincue que Sarkozy sera, malgré ses dires, candidat en 2017. Il aura besoin de sa revanche.

Nous continuons à échanger, presque comme deux amies. Elle me confie son mal-être avec ses kilos pas encore perdus, mais cette petite victoire de rentrer enfin dans le tailleur-pantalon qu’elle porte ce jour-là. Me raconte encore combien elle a souffert des attaques sur Internet. À plusieurs reprises, ses yeux s’embuent. À ma demande, elle me montre des photos de ses enfants.

Le temps passe à la vitesse grand V. Notre conversation dure trente-huit minutes. Carla et moi aurions pu échanger bien plus longuement, mais José, qui va gérer les questions du protocole pour moi, comme il l’a déjà fait pour Bernadette Chirac, Cécilia Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy, vient nous interrompre et nous prévenir que les deux Présidents ont terminé leur entretien.

Nous partons les rejoindre dans le hall. Sarkozy m’adresse quelques paroles aimables en me vouvoyant. Il dit à son tour combien c’est difficile pour la famille. Nous voilà tous les quatre sur le perron. Naturellement, j’embrasse Carla. François leur serre la main à l’un comme à l’autre. Il ne raccompagne pas le désormais ex-Président à sa voiture.

Une polémique sur un éventuel affront fait à son prédécesseur se développera. Mais je le connais. Les règles de savoir-vivre ne lui sont pas tout à fait familières, il lui faudra du temps pour s’habituer au protocole. Et il est pressé. Infiniment pressé de la suite : être officiellement investi. D’ailleurs, il tourne les talons sans m’attendre non plus…

Nous rejoignons la salle des fêtes, là où François va être investi, recevant des mains du président du Conseil constitutionnel le collier de Grand Maître de l’ordre de la Légion d’honneur. Je suis placée sur sa droite, en arrière. Je ne parviens pas à me concentrer sur son discours, que je n’ai pas lu auparavant.

Sur les photos, j’ai les yeux dans le vague, tant tout cela continue à me paraître irréel. Je me souviens aujourd’hui de quelques formules, qui me reviennent en écho et résonnent différemment, deux ans après. « La confiance, c’est l’exemplarité. » « L’exercice du pouvoir sera exercé avec dignité. » À ce moment-là, François m’impressionne. Il me semble solide et volontaire. Il est dans le rôle, dans la fonction, dans le costume. Je suis fière d’être à ses côtés, fière que celui que j’aime soit arrivé là où son destin devait le mener alors que personne n’y croyait.

Fin du discours. Il se dirige vers les corps constitués et les invités. Le protocole me fait signe de le suivre. Comme lui, je saisis les mains qui se tendent. La quasi totalité des visages me sont familiers, j’ai rencontré ces hommes et ces femmes au gré de mon métier. Il y a là aussi des proches.

Sacrilège ! Dès le soir même, je me vois reprocher d’avoir osé saluer ces corps constitués, les dirigeants ou représentants de toutes les institutions françaises. Ce n’était pas là mon rôle, écrit-on aussitôt. Ça ne s’était jamais fait, paraît-il. J’ai pourtant suivi le mouvement indiqué par le protocole. Mais je n’ai pas répété, je ne me suis pas renseignée sur les usages. Dire bonjour et serrer la main me semble être plus adapté à la situation que l’inverse. Le dilemme me semble insoluble. Si je salue, on me reproche de me prendre pour ce que je ne suis pas. Si je ne salue pas, on critique ma froideur, on me dit hautaine. Que faire ? Par la suite, je me contenterai de rester un ou deux mètres derrière lui, en hochant la tête, avec parfois un sourire en guise de bonjour.

La journée est chargée. Autant que le ciel. La pluie commence à s’abattre quand François s’apprête à remonter les Champs-Élysées dans sa Citroën DS5 hybride au toit ouvrant, fabriquée pour cette occasion. Il refuse le parapluie. Je pars quelques minutes avant lui pour l’attendre en haut des Champs-Élysées. Malgré les trombes d’eau, le voir remonter l’avenue est pour moi l’un des moments les plus intenses. Il renvoie à tant d’autres images mythiques.

Je grelotte, j’essaie de m’abriter au mieux, sous l’Arc de Triomphe. La pluie et le vent arrivent de toutes parts. Je dois maintenir ma robe portefeuille qui s’envole sur un côté si je ne veux pas faire le régal des photographes. Ce sera le cas un peu plus tard, lors de l’hommage à Jules Ferry au jardin des Tuileries.

Après la cérémonie sous l’Arc de Triomphe, le désormais Président part saluer la foule. Il est convenu par le protocole que nous redescendrons ensemble les Champs-Élysées dans sa voiture. Je ne sais pas quoi faire lorsqu’il s’éloigne sans m’attendre pour serrer des mains, dois-je le suivre ? Rester plantée dans le froid comme une idiote ? Sa voiture le suit. Personne ne me dit quoi faire. J’essaie de rattraper la DS5 avant qu’on ne m’oublie… Mon pouvoir d’influence est décidément immense ! Une fois de retour à l’Élysée, je dois insister plus de dix minutes auprès de lui pour qu’il accepte de changer de costume avant le déjeuner. Dire qu’il est trempé est un euphémisme. Il regimbe. Lorsque je lui dis que ce serait quand même dommage qu’il commence son quinquennat malade, il accepte enfin ma suggestion.

Nous sommes juste à côté du salon des Portraits, là où doit se tenir le déjeuner, là où les anciens Premiers ministres socialistes et leurs épouses patientent. Cette idée de les réunir, c’est moi qui l’ai eue. C’est ma seule contribution à l’organisation de cette journée d’investiture.

François a d’abord songé à convier le clan de ses fidèles « hollandais ». Bien sûr, ceux-ci méritaient d’être là en ce jour si particulier, eux qui étaient si peu nombreux à le soutenir les années précédentes. Mais je le mets en garde sur l’image clanique que le nouveau Président pourrait donner s’il reçoit sa garde rapprochée, alors qu’il a su se faire élire sur la promesse du rassemblement. Je trouve que réunir les anciens Premiers ministres de gauche a tout de même plus d’allure, il en a adopté l’idée. J’ai été entendue, pour une fois.

Revoir Jospin et Sylviane Agacinski me fait plaisir. J’ai tellement cru en lui en 2002, j’ai tellement espéré qu’il soit élu. J’ai la conviction qu’il aurait été un bon Président, comme il a été un bon chef du Gouvernement. Et je me souviens que c’est lui qui a fait de François le Premier secrétaire du PS après les législatives de 1997. Grand seigneur, il ne montre aucune amertume en étant reçu par un autre homme de gauche, intronisé dans la fonction qu’il a voulu occuper dix ans plus tôt. Le déjeuner est rapide et léger, le ton de la conversation agréable, bien que Michel Rocard monopolise la parole, comme à son habitude.

Après les deux cérémonies prévues en hommage à Jules Ferry, puis à Pierre et Marie Curie, il reste encore la réception du nouveau Président à la mairie de Paris. Elle est poignante également. Sur la place de l’Hôtel-de-Ville, la foule est nombreuse et chaleureuse. Bien sûr, il y a quelque chose de grotesque à voir François Hollande et Bertrand Delanoë assis sur deux larges fauteuils pompeux, plus royaux que républicains, avec Anne Hidalgo et moi derrière. Mais il y avait tant de visages amis !

En sortant, Jean-Marc Ayrault me confie combien il est heureux de devenir Premier ministre. Rien n’est encore officiel, mais c’est un secret de polichinelle. François n’a jamais hésité, son choix était fait depuis longtemps. Il apprécie sa loyauté et ne veut pas d’ombre. Ayrault a le profil parfait.

Tout est minuté. Nous repartons à l’Élysée. Nous pouvons enfin visiter les lieux. Je découvre le bureau présidentiel que je n’avais jamais vu, même au cours de mes dix-sept ans de journalisme politique. Je connaissais le salon vert, juste à côté, qui était le bureau de Jacques Attali du temps de Mitterrand. C’est dans cette pièce également que se tenaient les briefings « off » de Jacques Chirac. J’avais pu assister à quelques-uns, en général avant les voyages officiels. Mais entrer dans le bureau présidentiel avec François, quelle émotion ! Indicible.

Nous faisons le tour de quelques autres bureaux. Puis nous sommes conduits dans l’appartement privé. Carla m’avait prévenue :

– Vous y serez très bien, j’ai tout fait refaire.

Nous découvrons un bel appartement, à la fois spacieux et impersonnel. De toute façon, nous avons prévu de continuer à habiter rue Cauchy. J’y retourne le soir même, après avoir rencontré les maîtres d’hôtel. Je suis seule dans notre appartement. François est parti pour Berlin, où il doit dîner avec la chancelière allemande.

Une fois rentrée chez nous, à la fois exténuée et fébrile, je zappe d’une chaîne à l’autre. Je revois des images de cette incroyable journée. Soudain j’apprends que l’avion de François a reçu la foudre, qu’il a dû se détourner et se poser à Paris. Qu’il a dû embarquer dans un autre Falcon avant de repartir. J’ai l’impression de recevoir moi aussi la foudre. Je n’ai pas de nouvelles de lui. Cinq minutes plus tard, je reçois un appel de Pierre-René Lemas, le secrétaire général de l’Élysée. Nous nous connaissons à peine, mais je perçois une bonne personne. Il m’apprend que François va bien. Moi non. Je ne comprends pas que François ne m’ait pas appelée moi, pour me rassurer. Pas même un
sms.
Il y aura donc désormais des filtres entre nous, plus de lien direct ? Sera-t-il toujours ainsi happé par sa nouvelle vie, sans une pensée pour moi, incapable d’imaginer mon inquiétude en apprenant l’incident ?

Heureusement, j’ai prévu de passer la soirée chez des amis, de ne pas rester seule en ce jour unique. Nous dansons et faisons la fête, nous ne sommes qu’une petite dizaine. J’ai l’impression qu’il s’agit de l’enterrement de ma vie non pas de jeune fille mais de femme libre. La tension de la journée retombe.

Finalement, François et moi rentrerons chacun à peu près à la même heure, vers 2 heures du matin. Il a juste le temps de me donner ses premières impressions sur Angela Merkel, de me dire que la foudre sur l’avion n’était rien et qu’il ne m’a pas prévenue pour cette raison. Nous pensons tous les deux à la même chose, à notre frayeur commune. Elle remonte à la campagne de 2004 pour les régionales. Je ne suis alors qu’une journaliste qui accompagne le Premier secrétaire du PS. Nous volons vers la Bretagne dans un petit coucou. La météo est extrêmement défavorable. Plus nous approchons, plus les vents soufflent fort. Nous sommes quatre dans l’avion, Jean-Yves Le Drian, Éric, le fidèle garde du corps, François et moi. Le pilote hésite à se poser. La carlingue est violemment secouée. François le pousse à prendre le risque. La pensée que nous allons mourir m’effleure ce jour-là.

Nous en avons souvent parlé ensuite, de cette heure où nous aurions pu mourir ensemble sans jamais nous être aimés. Nous l’évoquons encore, à 2 heures du matin, dans cette nuit qui suit son investiture. François et moi n’avons pas le même rapport à la mort. Il la redoute plus que tout. Il fait partie de ces hommes qui se construisent un destin pour échapper à celui du commun des mortels. Pour laisser une trace, pour survivre d’une façon ou d’une autre. Pour rester dans les livres et dans l’Histoire. C’est sa quête d’immortalité. Il refuse de parler de la mort, il ne sait pas faire avec les mourants ni avec les grands malades. Il en a peur. Il fuit ceux qui vivent des drames, comme si le malheur était contagieux. Je m’en rends compte après la découverte de la grave maladie de sa mère, pendant la campagne de 2007, quand il me demande de l’appeler à sa place pour prendre de ses nouvelles. Il n’arrive pas à les recevoir lui-même, de plein fouet.

BOOK: Merci pour ce moment
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