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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (10 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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P
ort-au-Prince, mardi 6 mai 2014.

Je m’éveille dans la moiteur de ma chambre d’hôtel, après avoir dormi quelques heures à peine. Je suis arrivée la veille, avec une délégation du Secours populaire pour mettre en lumière les réalisations effectuées sur place par ce mouvement, dont les actions à l’étranger sont peu connues. Quand le Secours pop’ m’a proposé ce déplacement, j’ai accepté avec joie. En plus de renouer avec le terrain, cette mission me permet d’être absente de Paris, au moment de l’anniversaire de l’élection – deux ans, déjà ! –, ce sera une bonne chose. Je suis comme une accidentée qui cherche à éviter tout ce qui lui rappelle l’accident.

J’accepte le principe d’une interview sur Europe 1 pour parler de l’association. Mais lorsque l’équipe du Secours populaire fixe le rendez-vous pour le mardi, je ne réalise pas tout de suite qu’elle coïncide avec le 6 mai, deux ans jour pour jour après l’élection de François. Lorsque je m’en rends compte, l’avant-veille, je l’en avise. Il ne me demande pas de l’annuler ni de reporter. Il ne me dit pas non plus qu’il a prévu de parler lui aussi sur RMC ce matin-là. Je l’apprendrai le lendemain par une dépêche.

Sur place, Paris me semble tellement loin ! Les abris de fortune se chevauchent les uns les autres, soit des tentes, soit des cabanes faites de bric et de broc, de planches et de tôles. Trois cent mille Haïtiens sont toujours sans logement depuis le séisme. Il est 4 heures du matin, heure française, lorsque j’enregistre l’interview pour Europe 1. Dix minutes avant, je sens monter le stress. On me propose un rhum pour me détendre, je préfère décliner. J’ai travaillé la veille à ce que je vais dire, et préparé des réponses. Je me doute qu’il y aura dans le lot des questions d’ordre privé.

Le journaliste commence par Haïti. Et au bout de quelques minutes, il glisse des questions sur François Hollande. Je suis fair-play et lui souhaite bonne chance pour les trois années qui lui restent. Je ne veux pas gâcher cet anniversaire politique, ni occulter le but de ma visite, qui est d’aider le Secours populaire.

Quelques heures plus tard, à mon réveil, je consulte les dépêches, comme à mon habitude. Je découvre, pétrifiée, sa déclaration concernant ce que la presse appelle le « Gayetgate ». À la question « Avez-vous été digne ? », il répond :

– Vous ne pouvez pas ici laisser penser que je n’aurais pas été digne. Jamais je ne me suis livré à je ne sais quelle facilité, confusion, jamais je n’ai été dans une forme de vulgarité ou de grossièreté.

François Hollande est un politique, maître de ses paroles. Il avait préparé sa réponse. Je suis dévastée par ses mots. Depuis notre séparation, il y a déjà trois mois, il me supplie de reprendre notre histoire, notre vie commune. Il a cherché à me voir. J’ai accepté. Il m’a proposé de dîner dans ce restaurant que nous aimions. J’ai dit oui.

Depuis trois mois, il m’assure s’être trompé, s’être lui-même perdu, il répète qu’il n’a toujours aimé que moi, qu’il a très peu vu Julie Gayet. Quinze jours après le communiqué à l’AFP, il me disait regretter la séparation. Quatre jours encore et il me parlait de nous retrouver. Il me fait porter des fleurs à tout bout de champ, y compris lorsque je suis à l’étranger. Il me fait des déclarations passionnées. J’y ai parfois été sensible. Son retour de flamme m’a troublée. La porte s’est sans doute entrouverte et j’ai eu un instant la tentation de céder à nouveau. Mais elle se referme très vite. J’ai retrouvé ma liberté et elle me plaît, je n’arrive pas à lui pardonner. La rupture a été trop brutale.

Cette phrase qu’il vient de prononcer à la radio, pleine de négations comme des aveux dissimulés, ces mots qui n’expriment pas une once de regret, me font saigner à nouveau. François veut me récupérer mais, tout à son orgueil, il n’est même pas capable d’exprimer le début d’un remord. Pas le moindre début de réparation publique. Il me l’avait pourtant promis. Prononcer mon prénom est toujours aussi difficile pour lui devant les autres.

« Digne », a-t-il dit ? Dignes, les photos volées d’un Président à l’arrière d’un scooter et gardant son casque à l’intérieur de l’immeuble pour ne pas être reconnu ?

Digne, son indifférence, ma mise à l’écart à l’hôpital, les instructions venues d’en haut pour que l’on augmente ma dose de calmants ? Digne encore ce communiqué de répudiation, froid comme un décret, dicté à une journaliste ?

Je ne sais pas s’il mesure la déflagration qu’il provoque en moi avec cet entretien. Je suis accablée comme au jour le plus noir de notre rupture. La lame est enfoncée encore plus profondément. L’amertume et la colère creusent la plaie.

Je croyais être parvenue à me reconstituer, durant ces derniers mois. Son déni me plonge dans le plus grand désarroi. Me voilà à nouveau en larmes, alors que dans moins d’une heure je dois retrouver l’équipe du Secours populaire pour aller visiter l’école de Rivière froide. J’étais parvenue au bout du monde à l’oublier et je suis rattrapée par le chagrin.

Je lui envoie quelques
sms
pour lui dire ce que je pense. Il me répond qu’il ne comprend pas, qu’il trouvera les mots justes la prochaine fois. Toujours la prochaine fois… Combien de promesses m’a-t-il faites, jamais tenues ? Les mots, les paroles n’ont-ils aucune valeur pour lui ?

Ce matin, il vient de me perdre définitivement.

Encore une fois, il me faut sécher mes larmes, masquer ma peine et me concentrer sur ce que je suis venue faire en Haïti. J’ai les yeux gonflés quand je descends rejoindre les autres. Le manque de sommeil servira aisément de prétexte. Et j’ai ma réserve d’anticernes.

Après une heure et demie de route, bringuebalés dans un quatre-quatre à travers la misère haïtienne, au bout d’une piste improbable, nous finissons par accéder à l’école financée par le Secours populaire. Au milieu des enfants haïtiens, je suis transportée dans un autre monde. Loin de la politique, de ses trahisons et de ses mesquineries. Tant de gens autour cherchent seulement à survivre ! Leur pauvreté rend dérisoires nos peines d’amour et mon chagrin.

Au lendemain du séisme, le Secours populaire a pu faire construire une école accueillant 1 500 enfants. Ceux-là sont chanceux, ils sont sauvés.

Lorsque nous descendons à la station d’eau potable, une bande de gamins des rues nous suit. Certains n’ont pas de chaussures. Ils n’ont aucune idée d’où je viens, mais se battent pour me donner la main. J’oublie François un instant, c’est à eux que je pense, à ceux qui n’auront pas la chance d’aller à l’école.

Je pense aussi à mes enfants, que j’ai souvent laissés pour mes reportages et mes voyages. À mes garçons qui ont subi les conséquences de ma vie compliquée.

Je me sens coupable. Il y a neuf ans, j’ai sacrifié ma famille pour un homme qui s’est débarrassé de moi à la première occasion. Si j’avais su résister à cet amour, mes enfants auraient une jeunesse anonyme et protégée. J’étais folle amoureuse, me voici folle de rage. Personne ou presque n’imaginait François président de la République. Pas même moi. J’ai le sentiment qu’il m’a tout volé. Presque dix ans de ma vie.

Je regagne l’autre rive, seule, épuisée par la traversée et recouverte de boue. Combien de temps me faudra-t-il pour ne plus me sentir salie par tous les qualificatifs dont on m’a affublée : putain, favorite, manipulatrice, hystérique et j’en passe ? J’ai le sentiment de ne pas avoir été défendue. Celui à qui j’avais tout donné n’a pas eu un mot, un geste pour apaiser cette folie. Au contraire, il l’a entretenue et m’a abandonnée.

À mon retour d’Haïti, alors que je suis au volant de ma voiture, j’allume la radio. Je tombe sur une émission où des psychanalystes sont invités à parler des introvertis. « On se trompe en confondant introverti et timide, explique l’un d’entre eux. Un introverti n’a pas peur des autres, c’est quelqu’un qui est incapable de tourner ses sentiments vers l’extérieur, il les renvoie en lui-même. L’introverti est totalement lisse, ne montre aucune émotion. Il veut être plus normal que la normalité. C’est une pathologie. »

Je m’arrête pour noter la dernière phrase. Je suis sidérée tant cette description ressemble à François. Cette incapacité à montrer en public ce qu’il ressent. Je connais l’homme amoureux capable de grandes déclarations. Mais dès lors que nous sommes en public, il s’interdit toute démonstration d’affection. Il faut vraiment le connaître pour savoir que plus il plaisante, plus il cherche à masquer des contrariétés.

Je sais qu’il n’arrive pas à parler de ce qui est intime, vraiment personnel. Sans se livrer à une introspection publique, dont il est incapable, François aurait pu, sur RMC, éluder et éviter l’obstacle, comme à son habitude.

Exprimer un regret. Il a préféré laisser parler son inconscient. Il utilise le langage des puissants, à qui tout est permis et qui ne se sentent redevables de rien, ni de personne.

Se rend-il compte des ravages qu’il provoque ? Ses mensonges, affutés comme des lames, détruisent ce sentiment tellement simple et pourtant vital que l’on appelle la confiance. J’ai perdu ma boussole.

D
epuis que j’ai commencé ce texte, chaque jour, les souvenirs déferlent. Aujourd’hui, ils me renvoient
au jour de l’élection de François. Ce dimanche-là, je n’arrive pas à me laisser aller à la joie. Le bonheur intense est pour lui, pas pour moi. Mon confrère de
Paris-Match,
David Lebailly, a écrit un beau livre
La Captive de Mitterrand,
consacré à la femme de l’ombre, Anne Pingeot. Le jour de l’élection de François Mitterrand, la mère de Mazarine pleure. Elle sait qu’elle perd l’homme qu’elle aime.
É
trangement, quand je pense à cette journée du 6 mai 2012, c’est à elle que je m’identifie, pas à Danielle Mitterrand, qui partage pourtant officiellement la vie du président élu ce soir-là.

François n’est déjà plus le même. J’arrive tout juste à lui arracher trente secondes pour nous deux, le temps d’un baiser dans un petit bureau du Conseil général de Corrèze, avant l’annonce des résultats. Et puis, il y a ce moment qui semble irréel, les résultats annoncés à la télévision.

Il est élu.

François est président de la République.

C’est à peine croyable. Je vois qu’il est déçu de son score. Il ne dit rien, impassible, mais sous son masque, je perçois cette légère déception. Les deux chaînes principales donnent des chiffres différents, il se prépare aux moins favorables. Nous réussissons quand même avec toute l’équipe de Corrèze à déboucher une bouteille de champagne pour fêter l’événement. Il n’en prend pas une gorgée et se met à retravailler sa déclaration. Son futur conseiller spécial, Aquilino Morelle, est présent, et se met derrière son dos. Comme à chaque fois, François biffe tout le travail qui lui est rendu et recommence tout.

Alors qu’il continue à récrire son texte, je reçois un message de Franck Louvrier, le responsable de communication de Nicolas Sarkozy. Il m’informe que ce dernier cherche à joindre François. Son portable est saturé. C’est sur le mien que la communication s’établit. François prend mon téléphone et je fais sortir tout le monde. J’estime que cette conversation n’a pas à être publique. Je ne me fais pas que des amis, ce jour-là…

Le temps presse, la foule amassée place de la Cathédrale attend depuis déjà plusieurs heures. Je demande à François de prendre le temps pour quelques photos car ce moment est unique. Mais François s’agace et me rembarre violemment. Je ne comprends pas sa réaction. Cette minute qui aurait dû être un instant de bonheur vient d’être gâchée. Je vais m’enfermer dans la salle de bains attenante. Pour moi aussi, la tension a été très forte et se relâche. Je ne me sens plus capable d’aller place de la Cathédrale. Je m’effondre, assise par terre, sur le carrelage.

J’essaie de comprendre ce qu’il se passe en moi. Deux sentiments puissants viennent d’exploser l’un contre l’autre. Je suis heureuse pour lui qui a atteint l’objectif de sa vie, mais je sens qu’il n’est pas en état de partager cette émotion. Si nous ne parvenons pas à communier lors de tels moments, que nous restera-t-il à nous deux ? Je pressens à la minute que plus rien ne sera comme avant.

Nous avons été si proches, si complices et, en ce jour de gloire, je me sens presque étrangère à ce qu’il vit. Toutes ces idées se bousculent dans mon esprit alors que je suis toujours réfugiée dans les toilettes. On vient tambouriner à la porte, il faut y aller. J’hésite, je pense à Cécilia Sarkozy qui avait été traînée à la Concorde le soir de l’élection de son mari, où elle ne voulait pas se rendre. Ses raisons étaient différentes des miennes. Mais le vertige, la peur de ce qui va arriver étaient sans doute les mêmes. Comment vouloir de cette vie qui ne ressemblera à nulle autre, qui ne nous appartiendra plus ?

Je finis par sortir de mon drôle de refuge. Juste le temps de me remaquiller et nous partons. Dans la voiture, François ne me parle pas. Il est happé par son texte. Dans cet état de concentration extrême, comme avant chaque grand événement. Je respecte ces temps de silence. Il entre en lui-même. Je sais qu’il ne faut pas le déranger.

Les abords de la place de la Cathédrale sont bondés, inaccessibles. Il y a tant de monde. Nous poursuivons à pied en fendant la foule. Je suis derrière, bousculée de tous les côtés. Je prends sans arrêt des coups de caméras. La foule hurle de joie en voyant François monter sur scène. Je m’arrête en bas.

Jamais je ne l’ai suivi sur une tribune. Jamais je n’ai considéré que c’était ma place. Après quelques mots, c’est lui qui m’invite à le rejoindre. J’y suis tellement peu habituée que je ne bouge pas, figée. Des bras me poussent alors vers les quelques marches. François me tend la main. Tout cela est nouveau pour moi et je suis sensible à ce geste.

Bernard Combes, le maire de Tulle, a prévu des airs d’accordéon, instrument qui symbolise la ville par son festival. Je lui ai dit un jour que j’adorais
La Vie en rose.
Il me fait cette surprise et c’est ainsi que la foule commence à entonner la chanson.

François m’entraîne dans un demi-pas de danse. Je suis gênée et comblée à la fois. Cette fois, nous partageons un moment intense. Cela reste l’un de mes plus beaux souvenirs. Si les Parisiens du petit Paris se gaussent, me dira-t-on, de l’ambiance accordéon, les Corréziens sont déçus que la soirée ne soit pas plus longue. C’est la photo que le Président gardera dans son bureau de l’Élysée. Même après notre rupture : elle y est encore. Je n’ai toujours pas sorti la mienne de mes cartons de l’Élysée, qui restent entreposés dans mon couloir, mais elle est gravée dans ma mémoire.

Comment puis-je imaginer que la semaine suivante
L’Express
va titrer « Valérie Trierweiler en fait-elle trop ? ». Sous cette question, son directeur Christophe Barbier s’offusque. Il affirme que j’ai demandé
La Vie en rose
à Tulle en ce jour de victoire et considère cela comme un acte politique !

Quelques semaines plus tard,
L’Express
mettra à la une un cliché du nouveau Président et de moi avec ce titre « Qui est le chef ? ». J’ai eu le malheur de refuser le grand entretien que Christophe Barbier me proposait. Il rêve de rééditer son scoop de l’interview de Carla Bruni après son arrivée à l’Élysée, qui a été une vente record pour
L’Express.
Je suis sensible à sa proposition, mais je veux prendre mon temps.

Mon
sms
de réponse est courtois : « Merci pour ta proposition, mais je ne suis pas prête, c’est vraiment trop tôt. » Le scoop évanoui, il faut trouver autre chose. Va pour la femme qui contrôle tout ! Ainsi vont ceux qui sont prêts à lyncher ce qu’ils pourraient tout aussi bien célébrer, au gré des humeurs et de l’air du temps. Je vais découvrir ce qu’il en coûte de passer de l’autre côté de la barrière.

Malgré tout, le souvenir de Tulle est l’un des plus beaux pour moi. J’ai juste eu le temps de tweeter ce que je ressens : « Tout simplement fière d’accompagner le président de la République et toujours aussi heureuse de partager la vie de François. » François est attendu place de la Bastille. Il sert autant de mains qu’il le peut avant qu’on ne nous presse pour partir à l’aéroport de Brive. J’aurais tellement aimé rester là, sur cette place de la Cathédrale, avec cette foule tranquille et joyeuse, avec ces gens qui, les premiers, lui ont ouvert le chemin vers la victoire en l’accueillant sur leur terre, trente ans plus tôt. Quelle consécration pour lui, comme pour eux !

Mais nous regagnons la voiture pour filer à vive allure attraper l’avion privé. Le réel se mêle à l’irréel. Les communications commencent à affluer du monde entier. Cet homme que j’aime depuis des années, auquel personne ou presque ne croyait, est désormais chef d’État. Il reçoit en direct les félicitations d’Angela Merkel, de Barack Obama et de bien d’autres. Ça n’arrête pas. Sauf quand la ligne coupe, c’est ainsi en Corrèze… Combien de temps l’homme à côté de moi va-t-il rester le même ?

Nous rejoignons la petite équipe dans l’avion. Quinze jours plus tôt, après les résultats du premier tour, l’heure était à la détente pour toute l’équipe. Chacun pariait sur les résultats du deuxième, dans une ambiance détendue. Nous nous sentions légers. Sauf François. Il s’était isolé et ne partageait pas notre bonne humeur. Je ne crois pas qu’il craignait un échec. Il avait suffisamment d’avance. Pour avoir connu avec lui d’autres angoisses de scrutin, je savais bien sûr, qu’il ne voulait être sûr de rien jusqu’au résultat définitif. Dans ces cas-là, il me communiquait son anxiété dévorante. Il me contaminait et je devenais pire que lui. Pas cette fois, nous étions confiants. Que pensait-il alors à ce moment-là ? Il se préparait sans doute. Je sentais qu’il était habité par autre chose. Comme si le poids de l’Histoire lui tombait brutalement sur les épaules.

Le retour de la victoire, en ce soir de second tour, est différent. François accepte une coupe de champagne qu’il ne boit pas. Nous refaisons l’histoire. Des anecdotes de campagne resurgissent. Le vol passe très vite. C’est un moment suspendu. À l’arrivée, des anonymes se sont massés autour des grilles de l’aéroport pour apercevoir le nouveau Président. Il va leur serrer la main. Tant pis pour le retard.

Au Bourget, la foule est plus conséquente qu’à Brive. C’est surtout le nombre de motos de presse qui est impressionnant. Impossible de les compter : trente, quarante ? Ils se mettent à pourchasser notre voiture en route pour la Bastille. J’ai le sentiment d’un essaim d’abeilles. Je crains pour la sécurité de certains motards, prêts à prendre tous les risques pour des images d’une voiture sur l’autoroute et le périphérique.

Il me revient en mémoire les images de Jacques Chirac quand il a été élu. Sa main sortant de la vitre pour saluer, Bernadette à ses côtés. Comme si d’un seul coup, je réalisais ce qu’il se passe. Une bouffée d’émotion me saisit, je prends la main de François. Mais les coups de téléphone et les
sms
continuent de pleuvoir et je n’arrive pas à garder sa main dans la mienne… Nos doigts se détachent. Toutes les années précédentes, dès que nous étions près l’un de l’autre, nous étions incapables de ne pas nous toucher, comme deux aimants. Cet événement incroyable trouble notre intimité. À partir de cet instant, les tête-à-tête vont se faire de plus en plus rares.

Il est plus de minuit lorsque nous arrivons à la Bastille ; je comprends le basculement. Ce n’est plus une foule mais un océan d’êtres humains qui se pressent avec avidité pour approcher François. Des dizaines de milliers de personnes. Nous passons d’abord par la tente VIP, il y a là toutes sortes de célébrités. Ceux de la première heure comme ceux de la dernière. Je ne sais pas, je ne vois pas que Julie Gayet rôde, déjà. Je ne l’ai pas croisée une seule fois pendant la campagne.

La première personne que j’aperçois, c’est ma mère qui a tenu à être là. C’est elle que j’embrasse avant tout le monde. Comme toutes les mères, elle a toujours eu peur pour moi, elle avait pressenti le danger de cette situation. Je vois dans ses yeux un mélange de fierté et de crainte. C’est bien sa fille qui se retrouve ainsi, compagne du président de la République : inimaginable. Loin, trop loin de la ZUP nord…

François est happé de tous les côtés, la bousculade est à son comble. Enfin, j’aperçois mes enfants, cachés dans un coin pour ne pas être photographiés. Et eux, que pensent-ils ? Ils savent que leur vie aussi sera bouleversée mais pas au point d’imaginer qu’ils deviendront une proie au cours de ces vingt mois et même après que j’ai quitté l’Élysée. Qu’au lieu de passe-droits comme tout le monde l’imagine, ils n’auront que des chausse-trapes. Des pseudo-affaires qu’on leur inventera pour me déstabiliser. Je les retrouve furtivement. Eux aussi doivent pressentir que leur mère est happée par d’autres, moi je sens cela pour François.

La foule attend de le voir et de l’entendre à la tribune. Il monte, je monte, tout le monde monte. Il prononce son discours, la voix éraillée : « Merci, peuple de France, de m’avoir permis d’être président de la République. Je sais ce que beaucoup ressentent : des années de blessure, de brûlure, il nous faudra réparer, redresser, rassembler. » Il parle vingt minutes. « Nous vivons un grand moment, une victoire qui doit nous rendre heureux. » Je n’entends pas ses mots à ce moment-là. Ou à peine. L’émotion est trop grande. La foule ondule, elle hurle de bonheur dans une invraisemblable liesse, une ivresse générale.

Soudain je vois François s’éloigner à l’autre bout de la scène alors que je suis à ses côtés. Je tourne la tête et regarde ce qu’il se passe. Il traverse la tribune dans toute sa longueur pour aller embrasser Ségolène Royal. Je me décompose, sans réaliser que mon visage apparaît en gros plan sur les écrans géants.

Est-ce moi qui manque de générosité ? Suis-je si peu sûre de moi, si peu sûre de lui ? Toujours en mal de légitimité ? Quand il revient, je lui demande à l’oreille de m’embrasser en précisant « sur la bouche ».

Oui, je veux qu’on fasse la différence : il y a eu une femme avant, avec laquelle il a eu quatre enfants, et une autre maintenant, avec laquelle il vit, mais pas deux femmes en même temps. Je n’en peux plus du fameux « Hollande et ses deux femmes ». Je me sens réduite à rien.

Je n’imagine pas une seconde qu’on lira ces mots sur mes lèvres, les présentant comme une pièce à charge dans mon procès en femme dominatrice. Je l’ai vécu comme un viol. Plus aucune intimité n’est possible, tout est volé, même un murmure à l’oreille…

J’aurai dû comprendre que ce nouveau monde n’était pas fait pour moi. Je suis entière et spontanée, je dis ce que je pense, j’ai grandi dans un milieu où l’on ne dissimule rien. Dans le sérail, on est habitué aux non-dits, on sourit à ceux que l’on méprise, on médit dans l’ombre. Je ne suis pas armée pour cela et je vais le payer cher.

J’aime un homme qui ne peut plus se consacrer à notre histoire comme il l’a fait jusque-là. Je suis éprise d’un homme que je sens s’éloigner avec le succès. Tout s’inverse.

Lui qui m’a tant voulue, attendue pendant tant d’années, le voilà Président, et il n’est plus le même homme. Il ne peut plus l’être, sans doute. François cloisonne tout et je sens qu’il ne veut pas de moi dans sa vie politique, qu’il met soudain de la distance. Je croyais pouvoir tout supporter ou presque mais pas cette indifférence. N’importe quelle femme a besoin du regard de l’homme qu’elle aime. Moi comme les autres.

Alors que je tiens à garder une vie indépendante, je suis propulsée première dame, un rôle indéfini et sans statut officiel. Je dois m’adapter à ce carcan, mais je ne le comprends pas encore. Quel nouvel équilibre allons-nous trouver ?

BOOK: Merci pour ce moment
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