Merci pour ce moment (5 page)

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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
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Suis-je en état d’y aller ? Je me lève, je tiens debout, nauséeuse. Non seulement je veux y arriver mais il faut que je brille à ses yeux. Je veux qu’il me voie lui, qu’il me regarde enfin. Je décide de ne pas porter la robe rose prévue, mais une robe longue Dior, sublime, ornée de strass, prêtée pour un dîner d’État. Le coiffeur et la maquilleuse de l’Élysée arrivent. Olivier et Nadia sont des magiciens.

– Aujourd’hui, je voudrais le grand jeu !

Je parle très tranquillement, l’effet des somnifères se fait encore sentir, je suis comme ouatée. Ils se mettent au travail. Nous prenons le temps. Ils me transforment. Lorsque je suis prête, je descends d’abord au bureau.

Mon équipe m’accueille avec enthousiasme. Nous décidons de faire une photo tous ensemble. Nous prenons la pose à plusieurs reprises, tout sourire. Aucun d’entre eux ne peut imaginer ce qu’il s’est passé la veille.

Je n’ai pas revu François depuis le moment où il m’a abandonnée sur le canapé. Les organisateurs ont prévu que j’assisterai seule au spectacle commandé pour les enfants. Le Président doit arriver à la fin. Les six cent cinquante petites têtes sont déjà installées, impatientes que les festivités commencent. La salle bruisse de leurs rires et de leurs voix.

Je m’arrête pour embrasser quelques-uns d’entre eux, ceux que j’ai rencontrés. Pour la plupart, ils sont sur un fauteuil roulant. Lorsqu’arrive le chanteur M. Pokora, l’ambiance se déchaîne. À la fin du show, il est convenu que j’aille à la rencontre du « Président » pour revenir avec lui, dans la salle. Je l’attends en bas de l’escalier d’honneur. À son premier regard, je vois que j’ai réussi mon coup :

– Tu es magnifique, on dirait une reine.

Nous faisons notre entrée ensemble, pour une fois il m’attend, alors qu’il a pris l’habitude de marcher devant sans se soucier de moi. Je monte sur scène avec lui, ce qui n’était pas prévu. Il adresse quelques mots au jeune public et, pour la première fois depuis des mois, il a une phrase à mon égard, un remerciement public pour l’organisation de ce Noël enchanté.

Je me retrouve quelques instants plus tard à danser avec un jeune homme que je ne connais pas. Puis François et moi allons de table en table pour distribuer les cadeaux, faire des photos et signer des autographes. Il est plutôt attentionné. Il me suit lorsque je lui demande d’aller voir telle ou telle association. Les enfants n’en ont jamais assez, ils veulent une photo avec le Président, une avec moi, puis avec les deux et des autographes ! Une heure plus tard, il repart travailler.

Je reste jusqu’à la fin. Il est 4 heures de l’après-midi. Angela Merkel arrive dans une heure et le personnel doit réaliser la prouesse de remettre la salle des fêtes en état en un si court laps de temps.

Durant cet intermède, je reçois dans mon bureau Sarah, avec ses enfants Eva et Raphaël. Leur père est mort en Afghanistan, en juin 2012, avec trois de ses camarades. J’avais accompagné François aux Invalides, à la rencontre des familles. En larmes, Sarah avait demandé au Président une dérogation pour un mariage posthume, ce qu’il avait bien sûr accepté. Sa demande m’avait bouleversée. J’étais allée lui porter en mains propres le document dans le Pas-de-Calais. Sarah gère un centre pour enfants handicapés, un IME, que j’avais visité à cette occasion. Des liens amicaux se sont créés entre nous.

Après son départ, je vais voir mes assistantes. Je m’assois dans leur bureau, avec ma robe longue et mes talons de quinze centimètres. Je n’ai rien mangé depuis la veille, je ne peux plus bouger.

Mon équipe m’apprend que j’ai dansé avec Brahim Zebda, l’ex de Madonna, qui faisait partie du spectacle, et que la vidéo commence à faire le buzz sur Internet. Je ne savais pas qui il était. Il avouera ensuite lui aussi ne pas savoir qui j’étais. Nous sommes quittes.

Mon téléphone sonne, c’est François :

– Est ce que tu veux venir saluer Merkel ?

Jamais il ne me fait ce genre de propositions.

– Quand ?

– Dans cinq minutes.

Je ne peux pas y aller en robe longue. Je retire mes chaussures, monte quatre à quatre les marches de l’escalier qui mène à l’appartement. À toute vitesse, je change de robe et de chaussures. Je redescends aussi vite et je suis dans le hall, prête à accueillir la chancelière aux côtés du Président.

L’échange avec elle est agréable. Je la rencontre pour la première fois. Elle me dit être heureuse de me voir et aimerait beaucoup que nos deux couples se retrouvent à l’occasion du festival de Bayreuth. Je lui réponds que j’en serais ravie. François et Angela Merkel partent ensemble pour une séance de travail avant le dîner.

Je peux enfin aller me reposer, avant d’aller à un dîner de mon côté, prévu de longue date. Je m’allonge sur le lit, totalement éreintée. La gentillesse de François durant cette journée ne me fait pas oublier la veille et la violence de ses mots… Lorsque je rentre de mon dîner, il dort déjà. Le lendemain, il part à Bruxelles pour un Conseil européen. Nous avons à peine le temps d’échanger quelques mots au petit-déjeuner. Mon fils et le personnel sont là, donc rien d’intime n’est possible.

Je décide de lui écrire une longue lettre qu’il emportera à Bruxelles. Je la fais porter à son bureau. Je lui explique que son comportement de la veille n’est pas acceptable : me laisser seule, sans appeler de médecin, relève de la non-assistance à personne en danger. Si je doutais de son désamour, quelle preuve plus éclatante que celle-là ?

Je lui écris que je l’aime toujours mais que cette vie-là ne peut continuer pour moi. Je peux admettre évidemment la charge de travail et la lourdeur de la fonction. Mais est-il nécessaire d’y ajouter de la méchanceté, et pire encore, de l’indifférence ? Notre amour vaut mieux que ça. Comment le pouvoir a-t-il pu étouffer cet amour si fort, si violent ? J’étouffe moi aussi. J’ai besoin d’air. De sentiments et de respect.

À son retour, deux jours plus tard, nous avons une conversation. Dure, très dure. Il revient sur notre mauvaise entente. Il me critique, regrette que je sois devenue impossible à vivre. Bien sûr, je suis tendue et nerveuse, les frictions entre nous se multiplient, parfois pour un rien. Je suis en état de souffrance permanente tant son indifférence m’atteint.

Est-ce moi qui ait changé ou lui ? Il me fuit, ne supporte plus que je sois en public à ses côtés. Les photographes ont remarqué qu’il n’a plus jamais un regard ou une attention pour moi, qu’il ne m’attend pas, qu’il me parle de moins en moins en aparté. Les téléobjectifs sont des microscopes des sentiments.

François me rappelle « l’affaire du tweet » :

– Elle a fait beaucoup de mal. Peut-être aurions-nous dû nous séparer à ce moment-là.

Il sait pourtant ce qu’il en est. Il connaît les circonstances. Je ne m’exonère pas de cette faute. J’en ai supporté toutes les conséquences, elle me poursuit encore aujourd’hui, donc je sais que j’ai eu tort. Mais ce jour-là, s’il ne m’avait pas menti une fois encore, rien ne serait jamais arrivé. Je n’aurais pas écrit ces quelques mots irréparables.

L’affaire avait commencé avant même la présidentielle, quand la victoire se dessinait et que Ségolène Royal rêvait tout haut d’un poste prestigieux. Candidate malheureuse à la présidentielle cinq ans plus tôt, elle jette son dévolu sur la présidence de l’Assemblée.

Nous en discutons à plusieurs reprises avec François. Il n’y est pas favorable. Il sait ce qu’il en coûtera, à la fois sur le plan médiatique et en termes de complications politiques. Personne ne peut nier leurs liens privés, et moi pas davantage. Ils ont quatre enfants ensemble, il n’y a rien de plus précieux. Mais l’éventuelle accession de Ségolène Royal au perchoir de l’Assemblée relancerait le roman médiatique du trio amoureux dont nous avons tous déjà trop souffert.

Plusieurs juristes l’alertent également sur le risque inédit que comporterait un lien privé entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, alors que la Constitution exige la séparation des pouvoirs. Depuis 1875, le président de la République n’a pas le droit de se rendre à l’hôtel de Lassay ni d’entrer dans l’hémicycle.

François Hollande en Président et la mère de ses enfants à la présidence de l’Assemblée, c’est la certitude de polémiques sans fin. François le sait, mais il laisse Ségolène Royal à son rêve. Il l’encourage même puisque c’est ce qu’il a négocié avec elle lors de son ralliement après le premier tour des primaires socialistes, lorsqu’elle lui a apporté son soutien contre Martine Aubry. Mais officieusement, il assure qu’il n’en veut pas comme troisième personnage de l’État. Cette duplicité ne m’étonne pas. Combien de fois l’ai-je ainsi entendu, lorsqu’il était Premier secrétaire du PS, encourager un candidat et tout faire ensuite pour qu’il n’ait pas l’investiture ? Organiser en sous-main des opérations de barrage à une élection en faisant porter le chapeau à d’autres ? C’est un politique, par toutes les fibres de son corps. La tactique est une seconde nature.

À l’issue du premier tour des législatives de juin 2012, la situation électorale n’est pas bonne pour Ségolène Royal. Elle a été parachutée à La Rochelle parce qu’elle a laissé son fief historique à Delphine Batho. Les habitants de cette ville sont attachés au candidat PS dissident Olivier Falorni, militant local de longue date, qui la talonne au premier tour.

Je suis présente lors de la soirée électorale, organisée dans le salon vert qui communique avec le bureau présidentiel. Deux douzaines d’ordinateurs ont été installés sur cette table. Il y a beaucoup de monde, je connais peu de gens parmi ceux qui décortiquent les résultats au fur et à mesure qu’ils tombent. Il règne cette atmosphère de fièvre électorale que je connais si bien et que j’aime tant respirer. Un buffet est dressé à côté.

François analyse les résultats. En filigrane, se pose la question « Ségolène Royal ». Il secoue la tête :

– Elle n’a plus aucune chance. Elle arrive en tête avec 32 %, mais Falorni est juste derrière avec 3 % d’écart. Il est bien implanté. Il va rassembler facilement au second tour.

– Tu ne feras rien pour la soutenir ?

– Non, m’assure-t-il, tu peux être tranquille, je ne ferai rien je m’y suis engagé.

– Tu sais que Falorni est quelqu’un de bien et qui t’a toujours été fidèle.

– Oui, c’est quelqu’un de bien.

En bon politique, il téléphone tout de même au candidat dissident pour lui demander – mollement – de se retirer. Falorni refuse, mais les choses sont claires pour tout le monde.

Je pars me coucher un peu avant minuit. Je suis rassurée, car je craignais une nouvelle vague médiatique. La presse s’est tellement amusée de notre rivalité, du « Hollande et ses deux femmes »… J’en suis meurtrie au plus profond de moi-même. Quelques jours avant la cérémonie d’investiture du 15 mai 2012, deux journalistes, que je connaissais pourtant bien, m’avaient ainsi téléphoné pour me demander si j’y serais présente.

– Pourquoi y seras-tu si Ségolène Royal n’y est pas ? me demande l’un.

– À quel titre ? me demande l’autre.

Je suis tellement déstabilisée que je ne peux que répondre la voix mal assurée :

– Je ne sais pas, je suis censée devenir première dame, non ?

Même eux ne me considèrent pas comme légitime. Pourtant, avec François, nous sommes officiellement ensemble depuis cinq ans, sept ans en réalité. Et je n’ai toujours pas ma place à ses côtés.

Je suis donc soulagée que le spectre d’une cohabitation ingérable s’éloigne. Nous ne rentrons pas rue Cauchy. Je m’endors de son côté du lit dans l’appartement de l’Élysée, confiante. Pour François, la nuit sera courte à attendre l’ensemble des résultats. Je ne l’entends pas se glisser à mes côtés.

Le lendemain matin, il part très tôt. Nous avons juste le temps d’écouter un peu la radio ensemble. Je prends mon temps pour me préparer et je descends à mon bureau un peu plus tard. Comme j’en ai l’habitude, je consulte le fil AFP sur mon iPhone. Je découvre soudain une dépêche « Urgent » : « François Hollande apporte son soutien à Ségolène Royal. »

La dépêche agit sur moi comme un coup de poignard. Le texte est sobre : « Dans cette circonscription de Charente-Maritime, Ségolène Royal est l’unique candidate de la majorité présidentielle qui peut se prévaloir de mon soutien et de mon appui. François Hollande, président de la République, lundi 11 juin 2012. »

Il m’a donc menti et vient par la même occasion de renier l’un de ses engagements de campagne. Pourquoi n’a-t-il pas été honnête la veille au soir quand il m’a parlé ? Pourquoi n’a-t-il pas essayé de m’expliquer qu’il ne pouvait pas faire autrement ? Que Ségolène Royal faisait pression sur lui et que les enfants étaient intervenus en sa faveur ? Je crois que j’aurais tempêté, mais je me serais inclinée. Il n’a pas eu le courage de m’en parler. Il vient de désavouer l’une de ses promesses publiques, brandie comme un serment et il l’a fait pour des raisons privées. Et à moi, il a menti, une fois de plus.

J’appelle aussitôt François, furieuse. Je le préviens que je vais soutenir Falorni. J’avais déjà été choquée du sort qui lui avait été réservé avec sa mise à l’écart de l’investiture. Là, c’est une double peine. François sent qu’il est allé trop loin, que mon énervement est à son comble. Il essaie d’éteindre l’incendie qu’il a lui-même allumé.

– Attends-moi ! J’arrive, on se rejoint en haut.

Nous nous retrouvons dans une pièce entre l’étage présidentiel et notre chambre, où Mitterrand entreposait ses livres et ses affaires de golf. Le couple Sarkozy en avait fait une chambre d’enfant. Je l’ai transformée en bureau personnel. J’y ai installé des photos de mes fils lorsqu’ils étaient petits et quelques-uns de mes souvenirs, ceux que j’ai voulu mettre à l’abri des regards des visiteurs que je reçois dans le bureau officiel juste en dessous. Je m’y retire toujours à un moment ou à un autre de la journée pour échapper à la lourdeur du Palais.

Mais cette fois, la lourdeur est dans le bureau. L’atmosphère est tendue, comme à la minute qui précède un orage prêt à exploser, avec ses coups de tonnerre et ses premiers éclairs secs qui zèbrent le ciel. J’éclate de colère. C’est notre plus grosse dispute depuis que nous nous connaissons.

Je ne comprends pas sa trahison, il lui suffisait
a minima
de ne pas me mentir. Si seulement il avait été capable de me dire, les yeux dans les yeux : « Comprends-moi, je ne peux pas faire autrement pour mes enfants… » Je suis capable de comprendre l’importance de la mère. J’en suis une. J’aurais essayé, oui, de l’admettre. Il tente de me calmer.

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