Merci pour ce moment (3 page)

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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
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Le matin, il me précise qu’il partira après le déjeuner et que deux de mes très proches amies, Constance et Valérie, veulent venir me voir. Pourquoi ne m’appellent-elles pas directement ? Je préfère être seule, pour me retrouver et affronter ce qui arrive.

François insiste. Il n’assume pas de me laisser face à mon désespoir alors qu’il s’apprête à rejoindre sa maîtresse. J’ignore que mes deux amies sont déjà à Versailles depuis le matin. Il a mis au point ce stratagème pour ne pas me laisser seule et se donner bonne conscience. Elles attendent dans un café son feu vert pour venir à la Lanterne. Il veut leur passer le relais. Elles me bombardent de messages me suppliant de les laisser venir. Je cède et je fais bien. Dès le départ de François, leur présence me réconforte.

Nous avons prévu de nous revoir, lui et moi, le jeudi suivant. Le jeudi a toujours été notre jour, celui du début de notre relation amoureuse, celui des rendez-vous entre 2005 et 2007. Et celui de la fameuse chanson de Joe Dassin, que nous avons écoutée en boucle tant de fois dans ma voiture en chantant : « Souviens-toi, c’était un jeudi/Le grand jour/Le grand pas vers le grand amour. »

Je prends l’initiative de lui donner rendez-vous rue Cauchy, à notre domicile. Nous y serons seuls pour parler librement. Il arrive à l’heure, ce n’est pas dans ses habitudes.Il a apporté le déjeuner préparé par l’Élysée, un caisson en fer-blanc avec des assiettes garnies, qu’il suffit ensuite de glisser dans le micro-ondes.

Ses officiers de sécurité restent en bas de l’immeuble. Depuis la publication des photos de
Closer
où on les voit apporter un sachet de croissants rue du Cirque au petit matin, ils savent qu’ils n’ont pas intérêt à me croiser.

Tout cela est irréel, nous mettons la table comme un couple ordinaire, sans appétit. À la fin, comme si rien n’avait changé, il se lève et prépare les cafés avant de nous installer au salon. C’est le moment d’évoquer les questions matérielles.

Le sol s’est ouvert sous mes pas. J’ai peur de l’inconnu, de ce qui va se passer après notre séparation, y compris sur le plan financier. Je fais part à François de mes inquiétudes. Depuis le jugement de divorce avec le père de mes enfants, c’est moi qui ai la charge financière à 100 % de mes trois garçons. À l’époque, c’était le prix à payer pour ma liberté et pour le rejoindre, je n’avais pas hésité. J’avais aussi décidé de conserver le nom de Trierweiler, mon nom de plume depuis plus de quinze ans. Je voulais m’appeler comme mes enfants. Je divorçais de leur père, je ne voulais pas avoir le sentiment de me séparer d’eux.

François sait que mon salaire de
Paris-Match
ne me suffira pas pour assumer seule à la fois le loyer de notre appartement et les dépenses de mes enfants, leur logement et leurs études. Lorsque nous avions souscrit à cette location, je cumulais mes revenus de
Paris-Match
et ceux de la télévision, puisque je collaborais avec Direct8 (aujourd’hui D8) depuis la création de la chaîne en 2005.

Une fois élu Président, François a exigé que je renonce à la télévision. Avec la direction de la chaîne, nous avions pourtant évoqué le lancement d’une nouvelle émission à vocation humanitaire, compatible avec mon rôle de première dame. Une série de documentaires dans lesquels j’aurais mené des interviews de personnalités sur des thèmes d’intérêt général : l’éducation des filles dans le monde, la protection de l’eau, les réfugiés. Chaque émission devait me conduire dans deux ou trois pays.

J’étais très excitée par ce projet, bien avancé. Mais Direct8 venait d’être rachetée par Canal+, avec l’aval du CSA. Certains journalistes évoquaient déjà le conflit d’intérêt. Lors d’un beau dimanche de septembre, à la Lanterne, d’une voix très sèche, il m’a ordonné :

– Tu dois renoncer à la télé.

Le ton ne laissait aucune place à la négociation, j’ai accepté aussitôt. Il y avait déjà eu au printemps « l’affaire du tweet » et la défaite de Ségolène Royal à La Rochelle. Je ne voulais plus de polémique, plus de problème entre nous. Mais en renonçant ce jour-là, j’avais perdu les deux tiers de mes revenus et il le savait.

L’argent n’a jamais été mon moteur, mais j’ai peur du lendemain, c’est viscéral. Peur de la précarité, de ne pas avoir un toit quand je n’aurai plus l’âge de travailler. Je sais dans quel dénuement est morte l’une de mes grands-mères. J’ai toujours été indépendante. Je me souviens de ma mère, avant qu’elle ne se trouve un emploi de caissière, obligée, pour faire des courses, de « quémander » de l’argent à mon père, qui puisait alors dans sa maigre pension d’invalidité. Enfant, je vivais ces scènes comme une humiliation, une privation absolue de liberté.

Je me suis construite sur ce rejet : jamais je ne dépendrais financièrement de personne. Pas une fois dans ma vie, je n’ai demandé d’argent à quiconque. Qui plus est à un homme. Je n’ai pas oublié cette scène où ma mère s’est rendu compte dans un supermarché qu’elle avait perdu son porte-monnaie. Je revois sa panique, elle se demandait comment elle nous nourrirait les jours suivants. J’ignore quel âge je pouvais avoir à l’époque, mais son expression malheureuse est restée gravée dans ma mémoire.

Je viens d’une famille où l’on ne vit pas à découvert. Chez moi, on considère qu’on ne dépense pas l’argent que l’on n’a pas et nous continuons tous à faire attention au prix de chaque chose. J’en ai gardé des stigmates : je ne sais pas « claquer » ni « flamber ». Je repense à ce jour où je suis allée faire les soldes avec une amie, dans un centre de magasins d’usines. Alors que j’achetais des vêtements pour mes fils, les vendeuses m’ont gratifié tout d’abord d’un « Oh madame Sarkozy ! », qui m’a fait sourire. J’ai fait non non de la main. L’une des deux s’est reprise : « Ah oui vous êtes la femme de Hollande », et j’ai entendu le couple d’acheteurs, juste devant moi, glisser : « Si même les femmes de présidents viennent faire leurs courses ici, alors c’est vraiment la crise ! »

Il y eut aussi un autre jour de soldes – on ne se refait pas – au cours duquel j’achetai une paire de baskets pour l’un de mes fils. Le vendeur qui me reconnaît me demande :

– Alors comme ça, vous êtes à l’Élysée et vous travaillez en plus ?

– Monsieur, comment pourrais-je vous payer ces baskets si je ne gagnais pas ma vie ?

Il comprend et saisit ma carte bleue avec un sourire.

Si j’avais accepté de renoncer à mon émission sur Direct8 pour François, j’ai tenu à garder mon travail à
Paris-Match.
Il m’était inconcevable de ne plus avoir de travail du tout, ni de salaire. J’étais la compagne du président de la République, j’avais un bureau à l’Élysée, comme les autres premières dames qui m’avait précédée. C’est une fonction entièrement bénévole, à la tête d’une petite équipe de chargés de mission, dédiée aux tâches humanitaires et sociales. Au nom de quoi aurais-je dû renoncer à mon emploi ? Pourquoi aurais-je dû être la seule femme en France qui n’ait pas le droit de travailler ?

Quand notre couple est devenu public, en 2007, j’avais logiquement abandonné la rubrique politique de
Match
depuis deux ans, pour rejoindre les pages culturelles, là où la question du conflit d’intérêts ne se posait plus. En quoi le fait que j’écrive sur des romans pouvait gêner quelqu’un ?

Depuis huit ans maintenant, je ne prétends pas être une critique littéraire. J’essaie simplement de donner envie de lire aux lecteurs de
Paris-Match
et d’apporter la sensibilité d’une femme que la lecture a fait grandir. Lire m’a ouvert tous les horizons et tous les possibles.

Sans la lecture, je ne serais pas devenue celle que je suis. J’ai aimé lire depuis l’âge où j’ai appris à déchiffrer les mots. Enfant, je passais des heures dans les bibliothèques municipales. Ma mère avait pris l’habitude de nous y laisser, ma sœur et moi, le temps de faire ses courses, parce qu’au milieu des livres, nous étions sages, nous étions bien. Je reconnaîtrais entre mille l’odeur de la poussière des livres qui ne sont pas sortis des rayonnages depuis des lustres. Elle est là, ma madeleine de Proust, il est là, mon parfum d’enfance.

J’avais six ans quand ma grande sœur Pascale, lorsqu’elle était chargée des « commissions », grappillait un ou deux francs pour m’acheter ces petits livres qui valaient trois fois rien. En grandissant, j’ai lu tout et bien sûr n’importe quoi. Je n’avais personne pour me conseiller. Comme beaucoup de Français, mes parents étaient abonnés au club de livres France Loisirs. Tous les trimestres un nouveau livre arrivait à la maison. Je lisais, je rêvais, j’apprenais. Depuis mes treize ans, je tiens un carnet sur lequel je note les livres que je lis. Quand je feuillette les premières pages, je me souviens de romans magnifiques comme du tout venant, des ouvrages depuis longtemps oubliés, mais qui m’étaient tombés sous la main.

Je demandais des livres à Noël : il n’y avait pas plus beau cadeau pour moi. Ces livres-là, je ne devais pas les rendre à la bibliothèque, ils restaient à moi. Plus tard, j’ai eu le droit de veiller le vendredi soir pour regarder le dieu Pivot.

Ce « maître », j’ai pu le rencontrer une fois à l’Élysée. Il avait posté plusieurs tweets dans lesquels il imaginait avec humour des scénarios, si son livre obtenait le Goncourt, ce qui était une pure fiction car il est membre du jury. Parmi ces scénarios, j’avais noté celui-là : « Si j’ai le Goncourt, F. Hollande et V. Trierweiler seront obligés de m’inviter à déjeuner avec une bonne bouteille. » Je lui ai aussitôt envoyé un message : « Même si vous n’avez pas le Goncourt, je vous invite à déjeuner. »

Le rendez-vous fut pris et je lui ai fait la surprise d’organiser le déjeuner dans la fameuse bibliothèque, la pièce où ont été réalisées pendant si longtemps les photos officielles des Présidents, là où François Mitterrand passait du temps calé dans un fauteuil devant la cheminée. Là encore où nous dînions souvent avec François.

Pivot est tel qu’on l’imagine : passionnant, érudit et drôle. Jamais il n’éventa l’existence de ce repas non officiel. Je le fais dans ce livre et lui demande d’avance de me pardonner s’il voulait en garder le secret.

En travaillant à la rubrique culture, je reçois chaque semaine des dizaines de livres. C’est à chaque fois une émotion intacte que d’ouvrir les grandes enveloppes des éditeurs et de découvrir le livre qui s’y cache. Il y en a tant que j’ai perdu l’instinct de propriété. Je donne à la prison pour femmes de Fleury-Mérogis 95 % des livres que je reçois.

Écrire chaque semaine ou presque ma rubrique sur les livres pour
Paris-Match
est un vrai bonheur. C’était encore plus précieux du temps de l’Élysée. Je le prenais comme une victoire sur tous ceux qui me déniaient le droit de travailler, et une victoire sur moi-même. Si je n’avais pas été obligée de lire pour le journal, sans doute aurais-je été entraînée par le tourbillon de rendez-vous, de voyages, de réceptions sans ouvrir un seul roman. Quelle tristesse ! Allumer mon ordinateur, me trouver face à la page blanche, seule avec moi-même, me déconnecter du monde, me concentrer, voilà qui m’a aidée à traverser bien des épreuves.

Mais pas celle-là.

En ce jeudi si sombre où François me quitte, je serai incapable de me concentrer sur plus de deux lignes d’un livre. J’assiste impuissante à la fin de notre couple. Le Président m’assure que je n’ai pas de souci à me faire, que j’aurai sûrement des propositions professionnelles qui me permettront de repartir dans la vie.

Après avoir abordé la question financière, il évoque tous les points qui le préoccupent. Il veut que j’abandonne l’idée d’écrire un livre, une idée qui s’impose à moi depuis quelques jours et dont je lui ai parlé. Il n’est pas question de me faire renoncer à quoi que ce soit qui concerne « ma vie d’après lui ». Il insiste pour que nous annoncions « notre » séparation par un communiqué commun. Je refuse. Cette rupture, je n’en veux pas. Elle n’a rien de commun. Il me l’impose. Le ton est calme, froid. Tout est si triste.

Avant qu’il parte, j’exige de récupérer sa clé.

– Tu me vires de ta vie, tu n’es plus chez toi ici, je veux la clé. Je veux être libre de faire venir qui je veux quand je veux.

Je sais qu’il n’aime pas cette phrase. Il me trompe depuis plus d’un an mais ne peut supporter l’idée que moi je puisse vivre ma vie. Ainsi sont ces hommes-là. Il résiste.

– On te la fera porter.

– Non, je veux la récupérer maintenant.

Il appelle l’officier de sécurité qui détient la clé. Il va le voir dans le couloir et revient. François en a besoin pour descendre au sous-sol où attend la voiture, car l’immeuble est sécurisé et nul ne peut atteindre le parking sans tourner la clé dans l’ascenseur.

Qu’à cela ne tienne, je décide de les accompagner pour avoir l’objet bien en main. Nous nous retrouvons à descendre six étages, François et moi, accompagnés du porteur de croissants, ce policier immortalisé par le paparazzi rue du Cirque. Je le regarde droit dans les yeux.

– Et aujourd’hui, vous n’avez pas apporté de croissants ? C’est ainsi que vous concevez votre métier de policier ? Je ne comprends même pas que vous soyez encore là.

Il regarde ses chaussures, ne répond rien. Son regard s’embue. François ne dit pas un mot.

Je file aussitôt à la Lanterne. Il était convenu que je resterais à Versailles jusqu’au samedi, veille de mon départ pour l’Inde. Je me suis engagée auprès d’Action contre la faim depuis plusieurs mois. J’ai accepté de réduire une partie du voyage qui devait nous mener jusqu’au Madhya Pradesh, à plusieurs heures de voiture de l’aéroport sur des routes chaotiques et dangereuses, car je ne suis pas certaine de tenir le coup physiquement.

Depuis des jours, tout le monde tente de me faire renoncer à ce voyage. Le Président en tête. Il ne veut pas que je fasse ce déplacement. La question de ma santé ne le préoccupe guère. Dans son esprit, il n’y a déjà plus de première dame. En a-t-il existé une depuis le début à ses yeux ? Ce qui lui importe, c’est mon silence.

Il me reste trois jours pour me reposer à la Lanterne. Je redoute de passer la dernière soirée, celle du vendredi, seule avec mon chagrin. J’ai proposé à mes plus proches amis de venir dîner, comme pour me prouver à moi-même que la vie va continuer. Ils sont tous venus m’entourer de leur amitié. Nous passons une soirée chaleureuse, joyeuse. J’ai demandé au médecin l’autorisation de ne pas prendre mon traitement pour boire quelques verres de vin. La nuit est courte.

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