Merci pour ce moment (21 page)

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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
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N
ous sommes le 4 juillet 2014. Vingt-neuf. J’ai
compté vingt-neuf
sms
hier. Tout au long de son vendredi de président de la République, malgré son emploi du temps minuté, François Hollande m’a envoyé vingt-neuf textos. Je m’en veux de lui avoir répondu et de relancer ainsi la machine infernale. Nous tournons en rond, comme chaque jour. Il me dit toujours la même chose, qu’il veut me retrouver, qu’il nous faut recommencer. Je lui réponds toujours la même chose, qu’il m’a mise à terre, et n’a rien fait pour me relever.

François continue à me jurer qu’il n’a jamais revu Julie Gayet depuis janvier ni eu le moindre contact avec elle. Que lui dit-il à elle ? Que lui écrit-il ? Que lui disait-il de moi pendant leur liaison clandestine ? Qu’il ne m’aimait plus ? Que j’étais invivable ? Que notre relation était platonique ? En matière de lâcheté, les hommes infidèles se ressemblent tous et les hommes de pouvoir se confondent.

Ces dernières années m’ont rendue plus engagée encore. J’avais des convictions, je veux désormais agir. Je suis presque autant sollicitée aujourd’hui, par des associations ou par des médias, qu’au temps de ma vie à l’Élysée, alors que je ne représente plus rien. Je m’amuse de lire que l’on me présente désormais comme « l’ex-première dame », alors qu’au temps où j’avais un bureau à l’Élysée je n’étais que « la compagne de François Hollande ». Je suis devenue médiatiquement première dame le jour où j’ai cessé de l’être dans les faits. C’est d’ailleurs un rôle qui ne quitte pas les femmes qui l’ont incarné. Même si elle a divorcé six mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, Cécilia Attias est pour toujours une ex-première dame, au même titre qu’Anne-Aymone Giscard d’Estaing, Bernadette Chirac ou Carla Bruni-Sarkozy.

Ai-je eu tort ? Tout en suivant François, j’ai refusé d’être la poupée de cire que certains auraient aimé voir marcher en silence derrière le Président, soumise et transparente, comme une image d’Épinal. J’ai pu rester un peu moi-même et dire parfois ce que je pensais, malgré la mauvaise image que j’ai traînée et les malentendus qui ont jalonné ces deux ans.

Depuis notre rupture, je constate que les gens ne me regardent plus de la même façon. Les femmes me manifestent sans arrêt leur soutien, au nom de la solidarité féminine. J’espère qu’un jour, la sincérité de mes engagements ne sera plus mise en doute. Les graines que j’ai semées à l’Élysée vont germer.

Aujourd’hui, j’ai reçu deux bouquets de fleurs. L’un apporté dans la rue par une petite fille, Élisa, envoyée par sa famille qui voulait me témoigner sa sympathie. L’autre, déposé devant ma porte, adressé par l’une de mes followers. Je ne la connais qu’à travers Twitter. Une enseignante à la retraite qui me défend bec et ongles. Comme j’en suis émue. Chaque jour m’apporte une nouvelle consolation.

J’aurais pu me dérober au rôle de première dame, l’idée m’a traversée. J’aurais pu refuser de mettre les pieds à l’Élysée, ne pas accompagner le Président dans ses visites officielles. Cela n’aurait rien changé aux polémiques, aux insinuations et au roman médiatique. Et je pense que quelque chose aurait manqué. Le protocole prévoit que la représentation de la France se fasse à deux. Et cette fonction symbolique est importante dans notre pays, même si elle sera toujours sujette aux procès d’intention et aux rumeurs.

Je n’ai conservé aucun des cadeaux somptueux que l’on m’a offerts. Les montres Rolex et autres bijoux Chopard que j’ai reçus ont été déposés dans des coffres quai Branly. J’ai fait signer par trois personnes, dont certaines assermentées, la preuve que j’avais rendu ces cadeaux à la République. On n’est jamais trop prudent. Je sais qu’en politique, tout, vraiment tout est permis.

Je ne représente personne, je ne suis candidate à rien. Maintenant que je n’ai plus de rôle officiel, je peux apporter sans crainte mon appui aux causes et aux combats qui me semblent justes. Je suis une femme libre et j’ai envie de continuer à être utile. C’est un si beau mot, « utile », humble et fort à la fois.

Les Ukrainiens de France ou les réfugiés syriens viennent me voir : « Aidez-nous, venez là-bas. » Mais je n’ai qu’une petite voix qui peut aider à faire porter celle des autres. Je suis journaliste et j’ai envie de sortir de mon bureau, d’aller voir et de rendre compte, de témoigner. J’ai visité des camps de réfugiés au Liban, des bidonvilles en Inde, en Afrique du Sud, à Haïti. Mais aussi en France, où certains camps de Roms sont pires encore. Je peux écrire et dire ce que je veux.

Jusqu’à présent, j’ai évité toute parole politique, sur sa politique. Je suis tellement triste de la manière dont les affaires publiques ont dérivé… Je ne me reconnais pas dans ce que je vois et entends. Je ne compte plus les reniements. Je connais ses hésitations, sa façon de gagner du temps, et de rebrousser chemin sans rendre de comptes à quiconque. Sait-il encore où est sa gauche ?

Un jour, François Hollande m’a reproché d’avoir dit à la télévision que j’étais une femme de gauche. Sur le moment, je n’ai pas compris son reproche. Je suis née socialement du côté des plus faibles, de ceux qui comptent chaque euro dépensé. C’est de là que je viens. C’est à eux que je pense, toujours en premier, quand une décision d’économie ou de licenciement est prise, je sais que la vie va être encore plus dure pour eux.

Aurait-il préféré que je dise que « je suis une femme de droite » ? Évidemment non. Je pense qu’il aurait surtout voulu que je me taise, que je sois son amante et sa vestale – et rien d’autre. J’ai eu le tort de ne pas être la personne lisse et douce qu’il aurait aimé avoir à ses côtés lorsqu’il a enfin accédé au pouvoir suprême.

Je me rappelle aujourd’hui une conversation que nous avons eue avant les primaires socialistes. François avait été hospitalisé quelques jours pour une opération bénigne. Lui le suractif était sur un lit d’hôpital, ramené à l’essentiel peut-être.

Ce jour-là, il baisse la garde. C’est la conversation la plus profonde que nous ayons jamais eue. Il m’avoue avoir souffert de faire de la politique en couple. Il me confie que ce n’était pas son choix, mais le fruit des circonstances et de l’ambition de Ségolène Royal qui s’est affirmée au fil des années. Lui si secret, si cadenassé sur son passé, me confie sa souffrance d’avoir partagé cette vie publique, d’avoir été plusieurs fois effacé au profit de la mère de ses enfants.

Tout a commencé quand Ségolène Royal a été nommée ministre par François Mitterrand et lui non : le nom de François a été barré au dernier moment, parce que le Président ne voulait pas nommer un couple au gouvernement.

Je me rappelle aussi une anecdote du temps où j’étais jeune journaliste politique et François Hollande fraîchement député. Nous discutions lors d’une garden-party du 14 juillet à l’Élysée sous François Mitterrand. À quelques pas, Ségolène Royal était sollicitée de toutes parts, quand un invité s’est approché de François et lui a tendu la main en disant :

– Bonjour Monsieur Royal !

François a affiché un sourire crispé. Quand l’importun

s’est éloigné, il a murmuré entre ses dents :

– Ça se paiera un jour.

Pour l’avoir vécu à ses côtés, quinze ans plus tard, je sais aussi combien l’envol de la mère de ses enfants vers sa désignation comme candidate du PS, alors qu’il était le premier secrétaire, a été une épreuve pour son orgueil.

Ce jour-là, je pense qu’il me parle de son passé. Mais peut-être s’adresse-t-il aussi à moi ? Je ne comprends pas son message. Nos années enchantées se terminent. Il va se présenter à l’élection présidentielle avec de grandes chances de gagner. Et il ne veut pas composer avec quelqu’un d’autre. Dire que je suis une femme de gauche, exister en dehors de lui le ramène à ses années avec Ségolène Royal, à sa frustration.

À la lumière de cette conversation, je comprends son éloignement au fil de la campagne, sa réaction au moment du tweet, son énervement dès qu’un article chaleureux paraît à mon propos. Un jour, il m’a rageusement reproché la couverture d’un magazine, où nous apparaissions tous les deux.

– On ne voit que toi.

C’est une réaction d’homme blessé. J’ai payé son passé, cette vie politique à deux, qui a si souvent pourri notre présent et obstrué notre avenir.

En même temps, et c’est là le « paradoxe Hollande », cet homme qui ne veut pas partager la lumière, qui veut être seul sur la scène, est tombé amoureux d’une femme qui avait un métier, un passé, trois enfants, un caractère indépendant et libre. Il aurait pu trouver un être plus accommodant. Il a choisi la passion. Ainsi vont les hommes politiques, ces êtres orgueilleux et forts, qui veulent tout et le contraire de tout, car leurs ambitions n’ont pas de limites.

Je ne suis pas dupe non plus : dans certaines circonstances, me mettre en avant l’a arrangé. Comme lors du mariage pour tous. François n’a pas reculé malgré les manifestations monstres. Il a tenu cette promesse alors qu’il n’en était pas convaincu au fond de lui, évoquant même « la liberté de conscience des maires ». En découvrant cette formule, je lui ai envoyé un message dans la seconde pour l’avertir que la phrase ne passerait pas. Et effectivement, devant le tollé, il l’a retirée.

Dans ce combat, je suis allée en première ligne, avec son assentiment, et peut-être même à sa place. Sans doute parce qu’il voit le mariage comme une porte qui se ferme, François n’a jamais compris, sinon de manière théorique, la portée de cette réforme emblématique de la gauche, qui restera peut-être sa seule marque dans l’Histoire de France. C’est un joli pied de nez du destin.

Je ne doute pas une seconde que le mariage pour tous sera la dernière grande réforme de gauche. Je suis sûre qu’il n’ira pas jusqu’au bout de son engagement d’accorder le droit de vote aux immigrés aux élections locales, annoncé et promis maintes fois. Manque de conviction, trop d’obstacles, le cheval se cabrera.

Dans ses
sms,
François m’écrit que je suis la femme de sa vie. Je connais cette expression, qu’il a déjà employée à mon propos dans une interview, avant de se dédire peu après. L’ambivalence, toujours.

Il y a quelques semaines, il m’a proposé de m’épouser. C’est la troisième fois. La première en 2010, mais je sortais de mon divorce, je n’étais pas prête. La seconde, après son élection, en septembre 2012. Nous avions envisagé un mariage juste avant Noël, en tout petit comité, à Tulle. Il s’est rétracté un mois avant, avec des mots d’une cruauté inouïe. Julie Gayet était déjà dans sa vie, mais je ne le savais pas.

Maintenant, c’est trop tard.

Le mariage n’est pas une réparation. Bien sûr, être mariée avec lui m’aurait facilité la vie. J’aurais été moins illégitime aux yeux des autres et peut-être dans mon inconscient : ce lien officiel m’aurait sans doute apaisée, je n’aurais pas autant perdu confiance en moi. Ce n’était pas de deux alliances dont j’avais besoin, mais que nous soyons alliés. Cet été, avec mon plus jeune fils, nous avons récemment pris deux places pour voir la pièce de Victor Hugo,
Lucrèce Borgia,
à la Comédie-Française. Ce soir-là, le cœur serré, j’ai entendu les mots que Lucrèce lance à son mari, Don Alphonso : « Vous avez laissé le peuple se railler de moi, vous l’avez laissé m’insulter… Qui épouse protège. » La tragédie est éternelle.

Aux côtés de François Hollande, j’ai éprouvé de grands chagrins et des bonheurs aigus, j’ai rencontré des êtres inoubliables, vécu des moments intenses. La personne censée être moi, que les circonstances et la machinerie médiatique ont construite, n’a plus de raison d’être. Ce livre est une bouteille à la mer qui enferme mon passé avec lui. J’ai fait des erreurs, je me suis parfois égarée, j’ai pu blesser, mais je ne joue pas la comédie et j’ai toujours été sincère.

Tout ce que j’écris dans ce livre est vrai. J’ai trop souffert du mensonge pour en commettre à mon tour. Écrire m’a aidée à faire le tri dans ce qui jaillissait de ma colère ou de ma déception. Combien de temps me faudra-t-il encore pour faire le deuil de cet amour ? Le Président a résumé notre histoire en dix-huit mots glacés, qu’il a lui-même dictés à l’AFP. Ces pages en sont la réplique. La dernière dans le tremblement de terre qui a dévasté ma vie. Le point final à notre histoire. Seuls les liront ceux qui veulent comprendre. Les autres passeront leur chemin, et c’est bien ainsi.

Le temps est venu de clore ce récit, écrit avec mes larmes, mes insomnies et mes souvenirs dont certains me brûlent encore. Merci pour ce moment, merci pour cet amour fou, merci pour ce voyage à l’Élysée. Merci aussi pour le gouffre dans lequel tu m’as précipitée. Tu m’as beaucoup appris sur toi, sur les autres et sur moi-même. Je peux désormais être, aller et agir, sans craindre le regard d’autrui, sans quémander le tien. J’ai envie de vivre, d’écrire d’autres pages de cet étrange livre, de ce singulier voyage qu’est une vie de femme. Ce sera sans toi. Je n’ai été ni épousée, ni protégée. Puis-je seulement avoir été aimée autant que j’ai aimé.

Paris, le 31 juillet 2014

Remerciements

Je tiens à remercier, le plus sincèrement possible, mon éditeur Laurent Beccaria, qui a suivi l’écriture de ce témoignage du début à la fin, en me laissant toute la latitude nécessaire. Sans jamais exercer la moindre pression, il a su prendre en compte ma fragilité et m’a guidée, avec générosité, lorsque j’en ai eu besoin.

Merci aussi à Anna Jarota, mon agent littéraire, qui, outre son professionnalisme, m’a soutenue comme une amie… Que soient remerciés aussi mes quatre proches qui ont su garder le secret de cette écriture. Et je demande pardon à ceux de mes amis ou de ma famille que je n’avais pas mis dans la confidence.

Enfin, merci à tous les anonymes qui m’ont écrit, auxquels je n’ai pas eu le temps de répondre : qu’ils sachent que j’ai lu leurs lettres, qu’elles m’ont touchée et m’ont aidée à tenir et repartir.

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