Merci pour ce moment (20 page)

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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
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Ce jour-là, Catherine, Marina, Monique, Carole et moi, sommes à genoux à même le sol, dans « le couloir Madame » et dans une joyeuse ambiance. Je ne suis pas certaine qu’une autre première dame avant moi ait été vue dans cette posture. Les gardes républicains n’en reviennent pas et nous proposent leur aide. Nous avons réparti soigneusement les dons en fonction des destinataires : écoles, pouponnières, etc.

Avec mon équipe, nous traversons aussi des drames et connaissons des échecs. Je reçois notamment une demande de la Chaîne de l’espoir, cette association qui opère le cœur d’enfants du monde entier. Je rencontre plusieurs fois les professeurs Alain Deloche et Éric Cheysson, qui me plaisent immédiatement pour leur engagement et leur enthousiasme. Nous cherchons des fonds ensemble afin d’ouvrir une antenne de chirurgie cardiaque pour les enfants à Bamako. Notre but est presque atteint quand les photos du scooter présidentiel paraissent. Je ne sais pas ce que notre projet est devenu.

Je dois à la Chaîne de l’espoir l’un de mes souvenirs les plus durs, sans que ses responsables y soient pour quelque chose, évidemment. Un matin de novembre 2013, une urgence tombe. Un enfant malien, prénommé Lamina, a besoin d’être opéré le plus rapidement possible, sans quoi il perdra la vie. Il n’a ni visa ni moyen de transport. La Chaîne de l’espoir fait appel à moi. Je me tourne vers le chef-médecin militaire de l’Élysée qui participe à nos missions humanitaires. En moins de vingt-quatre heures, tout est réglé, pour une opération à Necker deux jours plus tard. J’ai l’impression d’avoir une baguette magique entre les mains qui va nous permettre de sauver la vie d’un enfant. C’est irréel et merveilleux.

Lamina est opéré. Son père l’attend en France, mais sa mère reste au Mali. Quarante-huit heures plus tard, des complications interviennent. Lamina tombe dans le coma et meurt. Je me sens responsable de sa mort. Les médecins m’assurent que si Lamina était resté au Mali, l’issue aurait été fatale également. Mais je ne me pardonne pas que cet enfant ne soit pas mort dans les bras de sa mère. Je pense à cette femme à qui nous avons renvoyé un cercueil alors qu’elle nous a fait confiance.

J’ai soudain la tentation de tout arrêter, tant je me sens impuissante et désespérée. Mon équipe fait bloc pour me remonter le moral. Les médecins savent également trouver les mots. Ils ont l’expérience de ce genre de situation. Moi pas. Je ne suis pas préparée.

Être première dame, c’est parfois constituer un dernier recours. Un soir, alors que je suis seule chez nous, une jeune femme m’interpelle sur Twitter. Je lui réponds. Je perçois sa détresse et lui demande son numéro de téléphone. Je l’appelle. Au bout de la ligne, une voix à peine audible me répète « je veux en finir ». Je n’arrive pas à instaurer un dialogue. Je lui propose de m’expliquer par écrit ce qu’elle n’arrive pas à me dire et lui donne mon adresse mail.

Je ne reçois que des bribes de phrases, toujours sur le même mode. J’ai ses coordonnées, je les transmets à mon chef de cabinet Patrice Biancone en lui demandant de faire intervenir un médecin ou les services sociaux de l’Élysée. Dans nos échanges, elle m’a transmis l’adresse où elle se trouve. Cette professeure reconnue a échoué dans un hôtel bas de gamme de banlieue. Le lendemain, elle m’envoie un mail terrible : « Merci pour tout, Valérie, je vous dis adieu. »

Avec Patrice, nous intervenons auprès de l’hôtel pour qu’il force sa porte. Elle est inanimée. Les pompiers peuvent la sauver
in extremis,
bien qu’elle ait avalé un impressionnant cocktail de détergents, de médicaments et d’alcool. Elle reste hospitalisée trois mois.

Ironie du destin, quand je me retrouve quelques mois plus tard à mon tour alitée, elle reprend contact avec moi, pour me soutenir. Nous échangeons régulièrement. Mais je me suis souvent interrogée. N’ai-je pas commis une erreur en attrapant sa bouteille à la mer ? Serait-elle passée à l’acte si elle n’avait pas su que j’étais à son écoute ? Comment savoir ? Première dame, c’est être confrontée à toutes les situations.

Mon cabinet, tant décrié par certains car financé par les fonds publics, n’a pas chômé, bien qu’il soit nettement plus réduit et que son coût soit largement inférieur aux cabinets des précédentes premières dames. Pendant deux ans, nous recevons des demandes innombrables. Sans arrêt. Sur tous les terrains, même les plus inattendus. Le personnel de la Présidence me sollicite même pour des requêtes qui relèvent d’une DRH. Ils ont compris que j’étais de leur côté.

Si les associations ont toujours vu l’utilité de mon rôle, l’opinion ne m’a pas fait de cadeau. Aux yeux de nombreux Français, depuis le premier jour, je suis illégitime, j’ai pris la place d’une autre, au nom prédestiné, à la figure de madone. Sous le feu permanent des chaînes d’information et des réseaux sociaux, les procès d’intention ont jalonné mon voyage à l’Élysée. Régulièrement je découvre que je suis convoquée chez le juge pour détournement de fonds publics. Rien n

est vrai. Avec le temps, selon la formule consacrée, le cuir se tanne, le cœur se bronze. Mais ceux qui vous diront être indifférents à l’impopularité mentent.

J’ai ainsi reçu comme un coup de poignard les quelques secondes volées lors d’un déplacement du Président à Dijon, en mars 2013. Ce voyage de deux jours est une idée de son équipe pour permettre au Président de renouer avec les Français, alors que sa cote dans les sondages d’opinion est en chute libre. C’est un fiasco pour lui, et une séquence d’une extrême violence pour moi. Une femme âgée l’aborde dans la rue pour lui dire :

– Ne vous mariez pas avec Valérie, nous, on ne l’aime pas.

Ce n’est pas très délicat, mais c’est sa liberté. Sa flèche n’est rien à côté de l’éclat de rire de François…. Mon Dieu, comme je lui en ai voulu à cet instant ! Incapable, par lâcheté, de répondre par une phrase de soutien, un mot gentil d’esquive comme il sait si bien le faire. J’en pleure devant ma télévision. Moi qui ne laisse jamais passer une attaque méprisante ou injurieuse contre lui, il se moque du sort qui m’est réservé et cherche d’abord à préserver son propre capital de sympathie, qui fond à vue d’œil.

Un dimanche d’hiver, alors que nous nous promenons sur les quais près de chez nous, François se fait insulter à deux reprises. Il doit me retenir par le bras pour m’empêcher d’aller demander des explications. Nous rentrons dans un silence de mort. Il n’y a plus eu de promenade par la suite. Il ne supporte pas ces attaques frontales. Il sait aussi qu’à tout moment, la fille de la ZUP peut surgir en moi. Comme ce jour avant l’élection où je lance « Viens-le dire là, connard ! » à un homme qui venait d’agresser verbalement François.

Six mois plus tard, l’affaire Leonarda fait partie des quatre ou cinq moments du quinquennat qui entament durablement le crédit du Président – et j’y joue un rôle, bien qu’il reste mineur. En cette rentrée 2013, je choisis de prononcer la dictée ELA dans l’école de mon enfance, à Angers. La directrice accepte. Deux de mes anciennes institutrices font le voyage pour l’occasion. L’une d’entre elle a énormément compté pour moi. Elle était belle et elle me fascinait, je voulais lui plaire et lui ressembler. C’était il y a presque quarante ans…

À mon époque, l’établissement était en ZUP, il est désormais en ZEP. L’école Paul-Valéry accueille beaucoup d’enfants de réfugiés dont un grand nombre ne parlent pas bien le français. Je suis accompagnée de l’équipe d’ELA et d’un petit garçon lourdement handicapé. Ce jour-là, l’affaire Leonarda agite les médias, des groupes de lycéens prennent sa défense. Je m’attends évidemment à une question. Je prépare ma réponse afin qu’elle ne prête pas le flanc à la polémique, avec une formule balancée :

– L’école est un lieu d’intégration, pas d’exclusion, comme elle doit l’être pour les enfants handicapés.

La deuxième partie de ma phrase n’intéresse personne et ne sera pas reprise. J’ajoute que Leonarda n’est pas responsable des actes de son père. Aucun enfant n’est comptable des fautes de ses parents. J’ai été choquée que la police ait fait descendre cette enfant de son bus scolaire devant ses camarades.

Je suis aussitôt accusée d’ajouter de l’huile sur le feu. La colère de François me saisit comme une gifle. Il ne veut même pas me voir, à mon retour, mais j’insiste pour qu’il trouve un moment de libre pour que l’on puisse en parler. Il vient et me reproche d’être intervenue avant lui. Je suis surprise.

– Parce que tu comptes t’exprimer à propos de cette histoire  ?

– Rien n’est encore décidé, mais oui, je parlerai sans doute demain.

Cela ne me semble pas être une bonne idée mais je n’ose plus rien dire. À ce moment-là, le Président n’a pas encore fait son choix : la famille doit-elle être expulsée ou rester ? Il n’en sait rien. Il a une guerre à régler entre Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault. Timidement, je propose une solution.

– Et la petite, elle ne peut pas finir sa scolarité en France dans un pensionnat, comme c’est le cas pour les mineurs isolés ?

– Non, ça c’est impossible, me répond-il en haussant les épaules.

Le lendemain matin, il n’a encore pris aucune décision. Au moment où je pars à la Lanterne faire du vélo, je vois arriver par le jardin les véhicules de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. Je pédale plus longtemps ce jour-là. En prenant ma douche, au retour, j’allume la radio. Il est presque 13 heures. J’apprends que François va s’exprimer. Il ne m’a pas prévenue.

Je me dépêche pour allumer la télévision. J’ignore totalement ce qu’il va dire. À ma grande stupéfaction, je découvre qu’il retient ma proposition, qu’il jugeait encore idiote la veille. En fait, ce n’est pas un choix qu’il fait mais encore une façon d’esquiver le duel entre le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur.

C’est le tollé. Les politiques et les éditorialistes tombent à bras raccourcis sur le Président. Sa proposition d’accueillir Leonarda n’est pas comprise, elle est perçue comme un acte de faiblesse. Pourtant, protéger les enfants me paraît une décision courageuse. Et même si c’est impopulaire, je lui suis reconnaissante de sa proposition.

Un mois plus tard, je dois remettre le prix de la fondation Danielle-Mitterrand et prépare un discours qui reprend les actions que j’ai menées en son nom. À la fin du texte, je lui rend hommage en imaginant ce que la femme du premier Président socialiste aurait dit en 2013 si elle était toujours parmi nous : « Danielle Mitterrand aurait-elle gardé le silence devant le drame des femmes violées en RDC ? Danielle Mitterrand aurait-elle gardé le silence devant le drame syrien et ses réfugiés ? ». Je termine mon discours par un « Je ne me tairai plus », en lien avec la campagne de soutien aux femmes violées dont le nom est « Rompre le silence ».

L’AFP fait fi de la teneur du discours sur l’humanitaire pour ne retenir que la conclusion et la sortir de son contexte. Avec une énorme mauvaise foi, l’agence y voit une suite de l’affaire Leonarda, un rappel du tweet sur l’élection à La Rochelle et une volonté d’intervenir à nouveau dans le débat politique. Une nouvelle polémique enflamme aussitôt la Toile et les chaînes d’information.

L’ambiance le soir à l’Élysée est orageuse. J’ai droit à une nouvelle salve ininterrompue de critiques blessantes, jusque dans notre lit. Je n’en peux plus. Jamais de compliments, pas un mot d’encouragement, uniquement des reproches cruels. Il est près de minuit, je décide de me rhabiller et de partir.

François tente de me retenir, puis d’appeler un chauffeur. Je sors seule, par la cour d’honneur. Je ne baisse pas mes yeux humides devant les gendarmes qui me saluent lorsque je franchis la grille. Je pars sans argent avec juste les clés de la rue Cauchy dans la poche.

Deux minutes plus tard, mon téléphone sonne sans arrêt. François d’un côté, mon officier de sécurité de l’autre, s’inquiètent et me harcèlent de coups de fil. Je ne décroche pas pendant près d’une heure, je rentre à pieds rue Cauchy. Cela me fait du bien. Je retrouve mon refuge, mon domicile. Le lendemain, l’AFP rectifie sa dépêche, François admet son erreur et reconnaît que mon discours a été mal relayé.

Comme ces vagues de disputes paraissent loin depuis notre rupture. Certaines nous avaient déchirés. En mai 2013, je décide de le quitter. Il est trop dur, je n’en peux plus de sa méchanceté. Je rentre rue Cauchy et lui interdis d’y revenir. Pendant trois semaines, nous ne nous voyons pas. Je pars les week-ends aux quatre coins de la France avec des amis. Mais je finis par revenir. Je suis droguée de lui. Je n’imagine pas un instant qu’il a profité de sa liberté pour en voir une autre… Éternelle naïveté des femmes fidèles.

Aujourd’hui, je ne reconnais plus ce compagnon cassant dans l’homme qui me refait la cour comme au premier jour. Il est redevenu attentionné, comme s’il avait « fendu cette mer gelée » en lui dont parlait Kafka pour évoquer notre forteresse intérieure. Il me couvre à nouveau de compliments, lui qui en était devenu si avare. Il remarque tout ce que je fais, connaît toujours l’endroit où je me trouve, m’encourage dans mes initiatives, me félicite pour les deux ou trois courtes interviews que j’ai données pour le Secours populaire ou à propos des lycéennes nigérianes. Quand nous vivions ensemble, il ne connaissait même pas le nom de l’émission que j’animais à la télévision… Effort suprême, il lit même mes chroniques dans
Paris-Match
en plus des pages politiques !

Le Président affairé, débordé et indifférent s’est métamorphosé en un Président attentionné, qui trouve le temps de lire ce qui me concerne, de m’écrire des dizaines de textos, y compris quand il conduit des réunions à l’Élysée. Quel paradoxe ! Je lui résiste, je retrouve une valeur marchande pour l’homme dont la conquête est le moteur.

E
n décembre 2013, lorsque Nelson Mandela est hospitalisé
dans un état désespéré, je dis à François que je souhaite l’accompagner lors des obsèques qui s’annoncent. J’ai droit à sa fameuse réplique :

– Je ne vois pas ce que tu viendrais y faire.

Je lui réponds que j’irai coûte que coûte, avec ma carte de presse et en payant mon billet d’avion.

Le matin de la mort de « Madiba », je n’ose pas aborder le sujet au petit-déjeuner, tellement j’ai peur d’être refoulée. Je lui envoie un
sms
dans la journée. Il me répond qu’il est d’accord. J’apprends ensuite que ce n’est pas sa décision. Les « diplos » insistent pour que je sois du voyage : Barack Obama et la plupart des chefs d’État se rendent à l’enterrement accompagnés de leur épouse.

Je suis émue à l’idée d’assister à cette cérémonie. Nous venons à peine de rentrer du Brésil et de Guyane lorsque nous repartons, suivis par un second avion que Nicolas Sarkozy a demandé pour lui. À l’aéroport, François propose d’emmener son prédécesseur dans sa voiture et de me laisser dans un autre véhicule. Je lui réponds un peu vivement :

– Tu crois qu’il aurait planté Carla pour toi ?

La réplique le laisse sans voix et je monte avec lui. Dans le stade, François m’ignore. Seul Nicolas Sarkozy compte à ses yeux. Je me tiens éloignée pour les laisser parler. C’est l’ancien Président qui vient me chercher et c’est lui qui me présente aux autres chefs d’État.

François et Nicolas Sarkozy rient tous les deux. Je ne trouve pas cela très habile, alors je me renfrogne. Sur les photos, je donne l’impression d’être une mère qui surveille du coin de l’œil des enfants turbulents. Comme deux anciens combattants qui se retrouvent, ils évoquent les inconvénients de la fonction : les mauvais ministres, les vacances, les attaques. Sarkozy lui détaille la somptueuse propriété que le roi du Maroc met à disposition de sa famille. Aucun des sujets brûlants du moment n’est plus important pour eux.

Cette complicité affichée est-elle adaptée aux circonstances ? Nous sommes aux obsèques de Mandela, retransmises dans le monde entier. Et les deux ennemis s’amusent. Nicolas Sarkozy mène le bal. Je suis gênée que François se comporte ainsi devant lui. Je le lui fais remarquer. Le ton monte. Il m’assure qu’il ne m’emmènera plus nulle part.

Heureusement, l’arrivée des présidents américains dissipe l’électricité qui plane au-dessus de nos deux têtes. Je vois arriver, en l’espace de quelques minutes, Barack et Michelle Obama, Bill et Hillary Clinton ainsi que le couple Bush, je suis impressionnée. Pour la première fois, je serre la main de Barack Obama et croise son regard très direct. Mais à nouveau, c’est Michelle Obama qui me fascine. Elle est stupéfiante de charisme.

Au cours de la cérémonie, l’image du Président américain faisant un selfie avec la Première ministre danoise blonde fait le tour du monde. J’observe la mine sombre de Michelle à côté, et elle me plaît encore davantage. Je me réjouie de ne pas être la seule jalouse. Oui, jalouse, je le suis. Comme je l’ai été avec chaque homme que j’ai aimé. Je ne sais pas ne pas l’être lorsque je suis amoureuse.

De François, je suis jalouse comme jamais dans ma vie, parce que je l’ai aimé comme jamais aucun autre homme. Je ne supporte pas que des femmes viennent poser leur tête sur son épaule et le prennent par la taille pour faire une photo. Non, je n’aime pas ça. Il m’est même arrivé d’en dégager quelques-unes. Ces femmes auraient-elles aimé que je me colle contre leur mari ?

Cécilia Attias, la précédente épouse de Nicolas Sarkozy, a raconté qu’elle voyait des femmes donner leur numéro de téléphone à son mari. Elle en concluait que rien n’arrête une femme attirée par le pouvoir. Quelle triste remarque – pourtant si juste.

Ce procès en femme attirée par la lumière et le spectre du pouvoir m’a été fait de manière indue. Mes accusateurs oublient que je suis tombée amoureuse d’un homme qui recueillait 3 % d’intentions de vote dans les sondages, quand il n’était pas oublié par les sondeurs dans la liste des candidats possibles. Si j’avais dû miser, il était des chevaux plus prometteurs ! Ce n’est pas la même chose que tomber en pamoison devant un président de la République entre deux sommets internationaux.

Étrangement, aucun de ceux ou de celles qui ont critiqué ma jalousie n’ont évoqué celle de François, aussi envahissante. Plus maître de lui, il n’a rien montré en public. Mais dans l’intimité, il ne me passait rien. Aujourd’hui encore, alors qu’il m’a débarquée brutalement de sa vie, il ne supporte pas l’idée que je puisse vivre une histoire avec un autre homme que lui.

Les échotiers le disent libéré et gai comme un pinson. Pourtant, dès que la presse m’affuble d’un nouvel amant, ses messages sont d’une rare violence… Lorsqu’il me découvre en photo aux côtés d’un autre homme, il ose m’envoyer ce message : « Tout est fini entre nous. » Je lui réponds : « Merci, je suis au courant, depuis le 25 janvier, comme la terre entière. » Deux poids deux mesures, toujours. Je dois rester sa chose. Combien de femmes lui faut-il dans son harem ?

Lors de nos sorties publiques, François pouvait être tranquille et mettre sa jalousie sous le boisseau. Personne ne se permet jamais d’extravagance avec moi. On me reproche cette distance. J’aurais préféré qu’il en soit de même avec lui. « Être sympa » ne fait pas un Président. Je ne cesse de le lui dire. Tous ses conseillers le lui disent. Mais c’est plus fort que lui, c’est son personnage depuis l’enfance, le leader boute-en-train, le chef de bande jovial.

François est aussi incorrigible dans ses rapports avec la presse, qu’il abreuve de messages. Les journalistes politiques ont essayé de comptabiliser le nombre d’entre eux qui reçoivent des
sms
du Président. Ils ont dépassé le chiffre ahurissant de 70… Le moindre confrère qui enquête sur un ministre ou une affaire mineure a droit à son rendez-vous avec le Président. Depuis ses premiers pas dans la carrière, il les cajole, même ceux qui le traînent dans la boue. Il ne lâche jamais l’affaire. C’est un homme politique qui aime se muer en journaliste. De mémoire de reporter politique, je n’ai jamais connu une telle fusion avec la presse. Même Nicolas Sarkozy est plus distant avec les médias. C’est dire !

Cette frénésie absorbe François et le perd. Il ne sait pas résister à un micro qui se tend, une caméra qui se pointe sur lui, en attente d’une formule ou d’un bon mot. Miroir, mon beau miroir… Combien de fois l’ai-je vu massacrer « une séquence politique » réussie parce qu’il répondait ensuite à des questions hors sujet, hors contexte, mal filmé, dans un coin sombre, au milieu d’une forêt de micros. Le bon discours était oublié, ne restaient que deux phrases vite balayées par l’actualité.

Je me rappelle un jour d’une scène désolante à Moscou. Son équipe lui explique qu’il ne doit faire aucune déclaration avant sa rencontre avec Poutine. Il répond : « Évidemment non », avant de se précipiter dix minutes plus tard vers les caméras ! J’abdique rapidement.

Pourtant, c’est à l’étranger que je le trouve à son meilleur. Jamais pris en défaut sur un chiffre ou l’histoire d’un pays, il m’impressionne souvent. En dehors d’un ou deux lapsus dus à la fatigue du décalage horaire. Pour avoir suivi les voyages officiels de Jospin et Chirac comme journaliste, j’ai des points de comparaison.

Je m’émerveille à chaque fois de le voir passer les troupes en revue au son des hymnes nationaux. Il peut bien avoir la cravate de travers, ça m’est égal, je mesure à chaque fois le chemin parcouru. Je le dévore des yeux. Je le vois comme dans un film, telle une spectatrice.

Les voyages d’État ont toujours un côté romanesque, c’est la part de rêve d’une fonction harassante. Le plus merveilleux a été celui au Japon et je garde un souvenir enchanteur de notre réception par l’Empereur et l’Impératrice. Comment la petite fille de la ZUP nord aurait-elle pu imaginer qu’un jour l’Impératrice lui demanderait si elle peut l’appeler par son prénom et lui proposerait de faire de même avec elle ? Je refuse de m’adresser à elle autrement que par « Sa Majesté ». Elle connaît mes engagements et m’embrasse devant les caméras en partant. Je m’attends à une pluie de critiques sur le fait que je n’ai pas respecté le protocole. Mais pas cette fois.

Au moment où les ministres français viennent saluer devant nous le couple impérial, nous retrouvons un moment de complicité avec François. Le protocole leur a expliqué comment effectuer une légère révérence avant de repartir à reculons. Ils sont tellement impressionnés et godiches pour certains que nous sommes pris d’un fou rire irrépressible.

À l’aube de l’année 2014, malgré nos heurts et nos querelles, quelque chose de fort nous unit toujours. Entre deux disputes, nous partageons de vrais moments de tendresse, nous restons attirés l’un par l’autre. Nous pouvons nous déchirer un instant et nous retrouver passionnément celui d’après. C’est pourquoi je nous crois insubmersibles.

Avant de découvrir les photos de François allant chez sa maîtresse, j’aurais pu sans hésiter mettre ma tête et mes mains à couper que jamais, il ne serait capable de me trahir, de me renier.

Mais il l’a fait et je n’en reviens toujours pas.

Et je ne reviendrai pas.

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