Mais il me ment encore. Il m’assure qu’il n’y est pour rien, que c’est le secrétaire général de l’Élysée qui s’est occupé de cette affaire. C’est le coup de grâce : le mensonge est énorme. Pierre-René Lemas réfutera ensuite cette excuse dérisoire : au contraire il a voulu empêcher François d’apporter ce soutien qui mélange tout, vie privée et vie publique. Et il n’est pas le seul conseiller à avoir tenté de l’en dissuader.
François l’a fait. Au plus profond de moi, sa décision réveille mon sentiment d’illégitimité, qui me fait tant de mal depuis l’officialisation de notre relation. Lors de la dispute, je préviens François du tweet de soutien que je vais rédiger. Il veut m’en empêcher, tente de m’arracher mon téléphone des mains. Il renonce avant que les choses ne dégénèrent davantage. Je m’assois sur le petit lit coincé contre le mur. Je me mets à la rédaction de mes 139 signes.
Volontairement, je n’utilise pas le mot « soutien » mais « courage ». Je pense qu’Olivier Falorni peut jeter l’éponge après le soutien présidentiel à Ségolène Royal. Je le connais, nous avons eu un bref échange au téléphone la veille et il craignait un geste de Hollande à l’égard de sa rivale. Je l’ai rassuré : il n’y en aurait pas. Le Président me l’avait garanti. Découragé, Olivier Falorni peut très bien avoir déjà renoncé. Je rédige mon tweet de manière à ce qu’il convienne dans les deux hypothèses.
Ma colère occulte ma raison. Mon doigt ne tremble pas lors de la rédaction de ce message. Pas davantage lorsqu’il s’agit d’envoyer le message aux abonnés de mon compte Twitter. Il est 11h56. « Courage à Olivier Falorni qui n’a pas démérité, qui se bat aux côtés des Rochelais depuis tant d’années dans un engagement désintéressé. »
Pas un instant je n’imagine la déflagration qu’il va provoquer. Cette petite phrase se propage à la vitesse du Net, elle est reprise, renvoyée, commentée des millions de fois, mais je n’en ai pas conscience. Aveuglée par le mensonge du Président, je me suis jetée toute seule dans la gueule du loup.
Je préviens aussitôt deux personnes, Patrice Biancone mon chef de cabinet et Olivier Falorni à qui j’envoie un
sms
. Patrice vient me voir immédiatement. Lui mesure l’ampleur de la catastrophe. Son téléphone commence à vibrer frénétiquement, puis c’est au tour du mien. Toute la presse appelle. Je réponds seulement à l’AFP, qui me demande si mon compte a été piraté ou si c’est bien moi qui ait écrit. J’assume. Puis je me retire, je m’enferme, je me coupe du monde comme je le fais à chaque tremblement de terre.
Malgré tout, je maintiens mon déjeuner avec… une éditrice, dans le cadre de ma page consacrée aux livres dans
Paris-Match.
Le tweet est évidemment la première chose dont elle me parle. Elle réalise que je ne me rends pas compte de la portée de mon acte. Elle me raconte ce qu’elle a entendu dans le taxi en venant, la polémique qui enfle et l’incompréhension. Tout ce que justement je n’ai pas voulu imaginer. Et elle me fait une offre d’édition que je décline aussitôt.
François vient me voir quelques heures plus tard. Lui aussi a immédiatement mesuré les dégâts mais il a cette qualité immense de regarder d’abord devant et de ne jamais s’attarder sur ce qui est fait. Comment fait-on pour se sortir de cette situation ? C’est la seule chose qui le préoccupe. Je n’en ai aucune idée. Il est très fâché, me signifie qu’il restera à l’Élysée le soir même pour dîner avec ses enfants, que je rentrerai seule avec mon fils rue Cauchy. Je ne discute pas.
Le lendemain, il me retrouve dans notre appartement. Il est toujours en colère, m’adresse à peine la parole. Il est muré dans un de ses silences qui me font tant de mal. Je déteste ces soirées où nous sommes comme deux étrangers, deux solitudes. En est-il simplement conscient ?
Lui et ses conseillers redoutent un impact négatif sur les résultats du deuxième tour des élections législatives. Les commentaires de tous les journalistes et des « grands experts » des pronostics politiques vont tous dans le même sens. Ils affirment qu’avec ces 139 signes, je viens de faire perdre au moins cinquante sièges au parti socialiste.
Malgré son irritation contre moi, François honore une promesse faite à mon plus jeune fils. Nous devions aller dîner tous les trois dans un restaurant qu’il voulait nous faire découvrir. François aurait pu annuler, j’aurais compris. Léonard aussi. Mais François a vu grandir mon fils depuis sept ans. Il l’a connu enfant et tous les deux s’entendent bien. Il veut lui faire plaisir et tient son engagement pour une fois. Heureusement Léonard anime la conversation, je surprends à plusieurs reprises le regard un peu perdu de François. Je mesure le mal que je lui ai fait.
Je lui dis que je suis prête à présenter des excuses publiques. Il refuse, il ne veut plus que je m’exprime. Il craint que cela ne rallume le feu. Mais les braises sont loin d’être éteintes. Le feu ne cessera de brûler et il couve encore. J’aurais dû suivre mon instinct et m’excuser officiellement.
J’adresse quand même des
sms
d’excuses à deux de ses enfants. Thomas me répond sévèrement, mais il souligne en filigrane que le fond du problème est qu’il n’accepte pas la séparation de ses parents, comme ses frères et sœurs et comme la plupart des enfants de parents qui ont refait leur vie. Nous sommes bien dans un imbroglio privé.
Le lendemain, François et moi allons ensemble à l’exposition de peinture de Florence Cassez à la galerie 75 Faubourg, située à deux pas de l’Élysée. Il n’y a évidemment pas d’effusion entre nous. Il est distant. Je le vois peu jusqu’au lundi, il passe son temps à l’Élysée. Il n’a pas besoin de se rendre à Tulle pour voter, puisque celle qu’il a choisi pour lui succéder, Sophie Dessus, a été élue au premier tour. Lorsque nous sommes seuls, il me parle de « ma mauvaise image ». Il craint que je ne devienne contagieuse. Il ne pense qu’à lui.
– Et moi ? Tu te souviens où en était ton image quand je t’ai aimé ? Si j’avais dû m’arrêter à ta popularité, je ne serai pas tombée amoureuse de toi.
Il était d’ailleurs tellement bas dans ces années 2005-2006 qu’il n’était pas mesuré par les instituts de sondage. Je suis exclue de la soirée électorale, mais je ne demande pas mon reste. Je demeure seule rue Cauchy. Nous échangeons des messages dans l’après-midi lorsqu’il reçoit les premières tendances. Je le sens se détendre. Les résultats sont encore meilleurs que ceux qui étaient prévus avant le tweet. Ma faute n’a pas eu la moindre conséquence sur le score du PS. Ségolène Royal n’est pas élue mais son faible score du premier tour était irrattrapable. Comme lors des présidentielles de 2007.
Malgré les très bons résultats d’ensemble de la majorité présidentielle, je ne reçois pas beaucoup de soutien dans les jours qui suivent. La victoire du PS était attendue, mon tweet est donc un événement plus excitant pour la presse, qui se déchaîne. Ségolène Royal devient la victime d’un coup bas et non d’un parachutage malheureux. Aux yeux des médias et de l’opinion publique, je suis coupable de l’avoir fait échouer, coupable d’être intervenue dans un débat politique pour régler un différend privé, coupable de ne pas être en accord avec le Président dont je partage la vie, coupable de jalousie irraisonnée. Une voleuse de mari, destructrice de famille, rancunière et colérique, hystérique. N’en jetez plus. Je propose à nouveau à François de présenter des excuses publiques. C’est non.
J’essaie d’échapper à cette vindicte générale. Je coupe tout. Je m’isole. Il m’arrive de recevoir des messages me disant « surtout ne lis pas cet article » et c’est pire encore. Soit je résiste, et j’imagine le pire. Soit je le lis, et cela m’abat.
Je dois essuyer les rappels à l’ordre de tous les hauts personnages de l’État et des ténors du PS. C’est à qui aura la petite phrase la plus dure à mon égard : Jean-Marc Ayrault, Claude Bartolone, Martine Aubry, François Rebsamen et j’en oublie. Je connais le jeu politique. J’ai été quinze ans journaliste dans ce domaine. Je sais qu’aucun d’entre eux ne se serait permis ces attaques sans l’aval de François. L’une de mes amies me dira plus tard cette phrase terrible : « C’est Hollande lui-même qui a délivré le permis de tuer. »
Ai-je jamais été aussi seule ? Sa colère contre moi est retombée après le deuxième tour, favorable à la gauche, mais il reste dur. Je ne comprends pas pourquoi ces responsables politiques ne cherchent pas à dédramatiser et à passer à autre chose. Chaque jour, l’un d’entre eux entretient la polémique.
Pour ne pas sombrer, je m’évade le plus souvent possible dans le parc de Versailles pour pédaler, pédaler encore. Je ne suis pas certaine à ce moment-là de remettre les pieds à l’Élysée. J’ai les idées noires, très noires. Mais je dois tenir, mes deux fils passent leur bac. Cet examen arrive au moment où la tête de leur mère est symboliquement mise à prix, affichée sur tous les dos de kiosques avec des titres plus assassins les uns que les autres. Quel crime ai-je donc commis ? On me reproche d’avoir mélangé la vie privée et la vie publique. C’est vrai. Mais est-ce moi qui ai commencé ? François Hollande n’a soutenu qu’un seul candidat et c’est la mère de ses enfants. Il ne l’a fait pour aucun autre. C’est lui qui a fait entrer sa vie privée dans la politique.
Mais par ce tweet, j’ai touché au symbole suprême : à la mère, à l’intouchable. Je suis une mère, moi aussi, mais pas celle des enfants du Président. Ça ne compte pas. Quelques mois plus tard, un spécialiste des sondages me conseillera de mettre en scène mes enfants. Il m’expliquera que les Français ne me voient jamais avec eux. Quelques photos de famille, savamment orchestrées, me dira-t-il, suffiraient à renverser l’opinion, pour que l’image de la mère de famille recomposée remplace celle de la maîtresse, au sens le plus négatif du terme. Je refuserai évidemment cette comédie et l’utilisation de mes enfants à mon profit.
Quelques femmes du Gouvernement, telles que Yamina Benguigui, Aurélie Filippetti ou Marisol Touraine, prennent, malgré tout, ma défense. J’en suis touchée. Yamina m’explique même que je suis devenue un symbole d’indépendance dans les banlieues. Pour les jeunes filles, je suis celle qui refuse « le devoir d’obéissance ». Cela me surprend mais effectivement, lorsque j’oserai enfin affronter la rue, je recevrai des témoignages de sympathie et de soutien, dont beaucoup de jeunes filles ou de femmes issues de la diversité.
Un déjeuner avait été fixé avec Najat Vallaud-Belkacem dans les deux ou trois jours qui suivent le « scandale ». Je suis persuadée qu’elle va annuler du fait de sa proximité avec Ségolène Royal. Non, elle maintient. Là encore, je lui suis reconnaissante. Évidemment, nous abordons rapidement la question du tweet. J’exprime mes regrets. Mais ce n’est pas ce qui l’intéresse :
– Je suis impressionnée par ta puissance médiatique alors j’ai pensé que nous pourrions faire des opérations ensemble.
Je suis stupéfaite. Je me serais bien passée de cette « puissance médiatique », de toutes ces unes de magazines qui me traitent comme si j’étais une sorcière, méchante et jalouse. Mais je la trouve en même temps courageuse d’être prête à s’afficher à mes côtés.
– À quoi penses-tu ?
– Nous pourrions aller ensemble à la rencontre des prostituées, la nuit, au bois de Boulogne.
Sa réponse me laisse coite. Je sais qu’elle veut faire de la lutte contre la prostitution l’un de ses combats. Mais cette fois, c’est moi qui me dégonfle :
– Je ne suis pas sûre que dans les circonstances actuelles, ce soit une bonne idée. Je pense qu’il me faut des sujets plus consensuels.
Mais je retiens ce terme de « puissance médiatique » qui la fascine. Elle est attirée par ce que je cherche à fuir depuis le début de mon histoire avec François Hollande et dont je ne parviens pas à me défaire.
Je n’arrive plus à descendre dans mon bureau, je déserte l’Élysée. J’évite consciencieusement ces conseillers dont je sens l’hostilité. Trois d’entre eux viendront tout de même m’avouer, en catimini, qu’ils me comprennent, que le Président a eu tort avec son communiqué de soutien. Ils pensent même que je lui ai servi de paratonnerre. Sans mon tweet, c’est sur lui que se seraient abattues les foudres de la presse puisqu’il soutenait son ex-compagne dans un mélange des genres évident. Quelques éditorialistes le soulignent, mais ils sont isolés.
En ce mois de juin 2012, les médecins me suggèrent de prendre un traitement d’anxiolytiques pour supporter la violence des attaques
ad hominem.
Je refuse. Je n’ai jamais pris d’antidépresseurs, je ne veux pas commencer.
Je me crois sans doute plus forte que je ne le suis. Aujourd’hui, je pense que cette alerte aurait dû me forcer à faire une pause. À prendre soin de moi, à essayer de comprendre l’engrenage dans lequel nous étions pris et comment je pouvais desserrer l’étau. Mais je reste seule avec mes pensées.
Lors de mes kilomètres parcourus à vélo le week-end à la Lanterne, je réfléchis à ce qui m’a poussée à commettre cette faute de 139 lettres. D’abord ma fidélité à Olivier Falorni, la double injustice qui lui a été faite, mais surtout la situation politique impossible qui aurait résulté de l’élection de Ségolène Royal. Lui, François Hollande au palais de l’Élysée, elle, à l’hôtel de Lassay. Chacun dans son palais. Je ne vois pas où aurait été ma place. Elle est déjà tellement difficile à trouver. On ne lance pas une bombe qui vous explose à la figure sans raison. La maladresse ne justifie pas tout.
Je ne me reconnais pas dans l’image que je traîne depuis le début de notre histoire. Aux yeux de tous, je suis celle qui a détruit « le couple mythique de la politique ». Lorsque nous avons basculé avec François Hollande dans une relation amoureuse – neuf ans déjà ! – j’avais pourtant moi aussi un mari, Denis, que j’aimais, avec lequel je m’entendais bien, et trois jeunes enfants.
Nous avions tout pour être heureux, une belle vie de famille, une vaste maison en grande banlieue, un chien joyeux qui vient de mourir au moment où j’écris ces pages. J’avais obtenu du journal de disposer de mes mercredis pour passer davantage de temps avec mes garçons. Moi, qui n’avais pas voulu répéter la vie de ma mère, j’essayais alors de lui ressembler.
Je faisais des crêpes ou des gaufres le mercredi après-midi. Nous partions en promenade, c’était encore l’âge des cabanes dans les bois. J’adorais traîner dans les jardineries à la recherche de nouvelles fleurs à planter. J’aimais tondre et jardiner. J’attendais le retour du printemps et du lilas, puis des cerisiers en fleurs avec impatience. J’aimais ça.