Merci pour ce moment (2 page)

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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

BOOK: Merci pour ce moment
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Les médecins parlent de m’envoyer dans une clinique de repos. Mes souvenirs sont flous. Je revois les infirmières qui viennent prendre ma tension très régulièrement, y compris la nuit en me réveillant. Je ne me souviens pas de toutes les visites, sauf évidemment de celles de mes fils qui, chaque jour, m’apportent des fleurs et des chocolats, ou de ma mère aussi, venue en catastrophe de province. Et de François, mon meilleur ami, qui lui aussi vient tous les jours. Brigitte, elle, fait le lien avec l’Élysée. Elle me dira par la suite qu’elle a été sidérée par l’inhumanité qu’elle a rencontrée. Un mur.

Toujours pas de visite de François au cinquième jour, même s’il m’envoie des messages quotidiens assez laconiques. J’apprends que les médecins lui ont interdit de venir me voir. Je ne comprends pas cette décision qui, en plus d’être blessante pour moi, est désastreuse sur le plan politique. Après une discussion houleuse, le médecin cède à mes arguments et lève l’interdiction. Il autorise une visite de dix minutes. Elle dure plus d’une heure.

Là encore mes souvenirs sont vagues. La discussion est apaisée. Peut-il en être autrement avec la dose astronomique de tranquillisants qu’on m’administre ? Le professeur Jouvent vient toutes les dix minutes surveiller que tout se passe bien, puis repart. Il confiera plus tard à l’un de ses amis qu’il a eu le sentiment de voir deux amoureux se retrouver…

Mon seul souvenir est d’avoir annoncé à François que j’irai aux vœux à Tulle, prévus cette semaine-là. Évidemment, c’est non. Il tente d’abord de me parler de mon état, puis tranche que ce n’est pas politiquement possible. Bref, il ne veut pas de moi là-bas. Je me sens prête à affronter les regards, ceux des curieux comme ceux des malfaisants.

Depuis des années, je ne rate pas ce rendez-vous. Bien avant qu’il ne soit Président, je l’accompagnais lors de ces vœux. C’était un rite entre nous et pour les habitants de Tulle. Comme celui des jours d’élections. À combien de reprises l’ai-je suivi dans la tournée des bureaux de vote ? Combien de fois nous sommes-nous retrouvés dans la cave de la mairie de La Guenne à déguster le bon vin de Roger et avaler ses tourtoux aux rillettes ?

Trois mois après ma sortie de l’hôpital, le 24 mars, le jour du premier tour des municipales de 2014, je me réveillerai en pleurs. Ne pas être avec lui ce jour-là sera une douleur. Cette échéance électorale réveillera mes souvenirs, le bonheur que j’avais à vibrer avec lui lors de ces moments si particuliers, pour chaque élection comme lors des retrouvailles de l’université d’été du PS à La Rochelle.

À tous les grands rendez-vous politiques, nous étions ensemble. Depuis près de vingt ans, d’abord comme journaliste puis comme sa compagne. Tous les moments forts de sa vie publique, nous les avons partagés. Nous les avons vécus intensément. Et chaque année, nous étions de plus en plus proches, lui et moi, jusqu’au jour où tout a basculé, où notre histoire a commencé.

Mais c’est terminé. Il ne veut plus de moi là-bas. J’insiste :

– Je prendrai ma voiture et j’irai.

Combien de fois ai-je fait cette route, seule au volant, de jour comme de nuit ? Capable de conduire cinq heures durant pour un moment volé d’intimité, avant de reprendre l’A19 dans le sens inverse. Des moments d’ivresse comme seul l’amour fou peut en produire.

Le lendemain, écrasée de fatigue, je ne comprends pas ce qu’il se passe. Le surlendemain, le jour des vœux à Tulle, c’est pire. Incapable de me lever. Dès que je tente de poser un pied hors du lit, je m’écroule. Valérie, l’épouse de Michel Sapin, doit venir déjeuner avec moi. Un sandwich pour elle et le sempiternel plateau de l’hôpital pour moi. Je parviens à peine à tenir ma fourchette, encore moins une conversation. Je lutte pour ne pas m’endormir et profiter de sa présence. En vain. Je lâche prise. Elle me laisse me reposer.

Ma tension est au plus bas. Je n’en comprendrai la raison que plus tard. Les doses de tranquillisants ont été surmultipliées pour m’empêcher d’aller à Tulle. Mes veines n’ont pas supporté la surdose…

Le médecin craint de me voir prendre le volant. « Vous n’arriverez même pas à marcher jusqu’au bout du couloir ! » me répète-t-il. Je me dispute à plusieurs reprises avec lui. À chaque fois, nous parvenons à négocier à coup d’expresso. Il est le seul à pouvoir faire du vrai bon café et me permettre d’avoir ma dose quotidienne, moyennant quelques concessions de ma part.

Au fond, je l’apprécie, cet ours-là. J’aime sa franchise et je sens qu’il n’est pas totalement à l’aise dans cette histoire. Il me dira plus tard s’être rendu à l’Élysée exposer mon état au Président. J’ignore jusqu’où est allée la conversation et si c’est à ce moment-là qu’ils ont décidé de l’opération « anti-Tulle ».

Je n’ai envie de rien, le temps passe sans que je m’en rende compte. Les infirmières qui me soutiennent dans ma détresse tentent de me secouer. Tout me coûte : me lever, prendre une douche ou me coiffer. Elles me bousculent : « Ne vous laissez pas aller ! » Elles m’avaient toujours vue en première dame attentive à son apparence, elles ont face à elles une loque qui ne change même pas de pyjama. Elles me font comprendre qu’elles sont avec moi, pas seulement dans l’exercice de leur métier.

Le jour de la sortie arrive. Ma convalescence va se poursuivre au pavillon de la Lanterne, l’ancienne résidence de Matignon, mise à la disposition de la présidence de la République depuis 2007. C’est un lieu tranquille, le long du parc de Versailles.

L’opération de sortie a été pensée dans le moindre détail pour éviter les photos de paparazzi. C’est comme une exfiltration. J’ai du mal à mettre un pied devant l’autre. Je marche au bras d’un officier de sécurité, en état de flottaison. Évidemment, nous évitons la porte principale. Le dispositif est renforcé. La voiture que nous utilisons habituellement est transformée en leurre et envoyée en éclaireuse.

L’opération fonctionne. Des équipes de télévision et des photographes sont postés devant la Lanterne, mais ils ne captent que l’image fugitive d’une voiture aux vitres teintées s’engageant dans l’allée, rien de plus. Ils n’auront pas même mon ombre. C’est le mot : je ne suis qu’une ombre.

Je retrouve avec plaisir cet endroit que j’aime, où j’ai sans doute passé les meilleurs moments de ma vie auprès du Président, avec ses hautes fenêtres et ses pièces baignées de lumière, une maison sereine, protégée par des arbres immenses et centenaires. Je suis accueillie par le couple de gardiens, d’anges gardiens devrais-je dire. Ils gèrent le domaine depuis vingt-cinq ans. Ils ont vu bien des Premiers ministres, jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy récupère ce coin de paradis pour la présidence. Ils ont assisté à bien des réunions secrètes, des fêtes de famille et sans doute à quelques drames. Mais ils n’en disent rien. Ils n’ont jamais trahi personne, jamais raconté le moindre détail. J’aimais partager un café avec eux le matin, nous bavardions souvent de tout et de rien. C’était toujours de bons moments. Ils voyaient ma solitude.

Un des jeunes médecins de l’Élysée est présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la chambre d’à côté, pour surveiller ma tension et m’administrer un traitement d’anxiolytiques et de tranquillisants. Je ne peux toujours pas me lever sans étourdissements, ce qui m’oblige à me rasseoir immédiatement. Un matin, je me rattrape de justesse avant de tomber. Cela me rend prudente.

Chaque jour, un ou une amie vient me rendre visite. Ma famille également. Ils ne me racontent pas tout ce qui se passe au dehors. Ils me protègent de la meute, des spéculations délirantes et des unes tapageuses. Profitant un jour d’un rayon de soleil avec ma mère et mon fils, nous faisons un tour de jardin. Nous ne savons pas que des paparazzis sont nichés jusque dans les arbres. Ils peuvent nous photographier seulement de dos, et pourtant un de ces clichés va trouver preneur dans un magazine people. La machine médiatique est lancée. Elle dévore chaque bout de vie sans importance.

L’été précédent, alors que j’étais souvent seule dans le refuge de la Lanterne pendant que François travaillait à Paris, j’avais pris l’habitude de longues sorties à vélo. Avec mes officiers de sécurité, nous étions devenus des presque-champions. Chaque jour, nous pédalions trente-sept kilomètres à travers le parc de Versailles et sa forêt. Nous enregistrions notre temps, essayant de progresser, de gagner quelques minutes pour augmenter notre rapport kilomètres/heure. Rien ne nous arrêtait, pas même les jours de pluie. C’était un bonheur dont je ne me lassais pas.

La semaine du 15 août, François m’avait rejointe. Il avait fini par s’octroyer quelques jours. Enfin, pas vraiment. Il levait à peine le nez de ses dossiers et refusait de sortir de l’enceinte de la Lanterne. Les balades se limitaient à deux ou trois tours de jardin. Quant à moi, je ne renonçais pas à mon périple en vélo. Les paparazzis étaient partout. À chaque coin de parc. Une photo de moi sur mon vélo avait d’ailleurs été publiée dans
Le Parisien
deux ou trois jours plus tôt.

Un matin, alors que nous abordions un virage autour de la Grande Croix du parc, je repère deux photographes et me dirige vers eux, sans prévenir mes deux policiers d’escorte. Ils sont là pour la journée, tout est prévu : couverture et glacière. L’un des paparazzi prend peur, lève les mains en l’air comme si j’avais été en possession d’une arme :

– C’est pas nous, c’est pas nous, la photo du
Parisien,
on vous jure, c’est pas nous !

Leur frayeur m’amuse.

– Je ne viens pas pour ça, mais pour vous dire que vous perdez votre temps. Le Président ne sortira pas, vous n’en aurez aucun cliché. Vous pourrez me photographier sur mon vélo chaque jour, mais cela n’a aucun intérêt. Lui, vous ne l’aurez pas. Vous feriez mieux de rester avec vos familles.

Évidemment, ils ne m’ont pas crue et évidemment ils ont perdu leur temps à me « shooter » chaque matin pédalant avec ou sans les mains… Mais le souvenir de la panique de ce photographe me fait encore sourire à chaque fois que j’y repense, comme au rire de mon garde du corps : « C’est sûr, vous n’avez pas besoin de nous ! »

En ce mois de janvier, je suis loin de ces souvenirs heureux à leur manière. Je tente un peu de vélo d’appartement, mais je dois renoncer aussitôt, je n’en ai pas la force. Allongée sur le lit, les journées s’écoulent à feuilleter sans conviction de vieux magazines, surtout pas ceux du jour, à écouter de la musique et à dormir. Je reçois chaque jour les lettres d’anonymes qui arrivent par dizaines à l’Élysée et que l’on me fait porter. Certaines m’émeuvent aux larmes. Beaucoup de femmes, mais pas seulement, veulent m’exprimer leur soutien. Je mets de côté celles auxquelles je me promets de répondre et parviens à écrire quelques lettres de remerciements.

Une semaine passe ainsi, sans notion du temps qui s’écoule. Des heures suspendues, anesthésiées par les traitements. Je découvre les innombrables messages reçus par mail ou texto pendant le séjour à l’hôpital. Ceux d’amis que je n’ai pas vus depuis longtemps, de la famille plus éloignée, des relations de travail, des écrivains, des personnes qui ont trouvé mon numéro sans que je les connaisse. Mais aussi des femmes que j’ai aidées dans leur deuil ou leurs difficultés et, qui, à leur tour, veulent m’apporter du réconfort. Je suis particulièrement touchée du message d’Eva Sandler qui, elle, a perdu son mari et ses deux petits garçons au cours de la tuerie dans l’école de Toulouse. Je n’ai pas le droit de me plaindre : je traverse une épreuve, pas un drame.

De l’Élysée, je ne reçois que trois messages de conseillers. Tous les autres sont aux abris. Je suis déjà traitée comme une paria. Au gouvernement, seulement quatre ministres osent m’adresser un mot d’amitié : Aurélie Filippetti, Yamina Benguigui, Benoît Hamon et Pascal Canfin.

Ceux que je connais le mieux sont aux abonnés absents. Leur silence sera plus criant encore lorsque je lirai les messages venus de l’autre camp, de Claude Chirac, de Carla Bruni-Sarkozy, de Cécilia Attias, de Jean-Luc Mélenchon, d’Alain Delon et de tant d’autres. En politique, il ne vaut mieux pas être du côté des perdants.

En moins d’une semaine, j’ai non seulement subi une déflagration dans ma vie, mais je vérifie l’étendue du cynisme du petit monde des amis politiques, des conseillers et des courtisans. Manuel Valls et Pierre Moscovici, dont on me disait si proche, n’ont pas dû se souvenir de mon numéro de téléphone.

François m’a annoncé sa visite le samedi suivant, « pour parler ». « Un peu avant le dîner », a-t-il précisé. Lorsqu’il arrive, nous nous installons dans le plus grand salon, celui qu’on appelle le salon de musique, là où trône un piano à queue. Bien que ce ne soit plus l’instrument d’origine, c’est là que l’épouse de Malraux avait l’habitude de jouer quand le ministre de la Culture de Charles de Gaulle habitait ce lieu. Le Général avait été bouleversé par le drame qui avait frappé Malraux avec la perte accidentelle de ses deux enfants. Il lui avait accordé le privilège d’y vivre retiré avec son épouse et le fils de celle-ci, Alain. Chaque fin de semaine, comme pour s’étourdir, Malraux s’attelait à la décoration de la Lanterne. Il s’était installé une bibliothèque dans les anciennes écuries.

François et moi nous retrouvons l’un en face de l’autre, chacun assis sur un canapé différent. Ils ont beau être fleuris, l’ambiance est pesante, la distance est déjà palpable. C’est alors qu’il me parle de séparation. Je ne comprends pas la logique des choses. C’est lui qui est pris sur le fait et c’est moi qui paie les pots cassés, mais c’est ainsi. Sa décision ne semble pas encore irrévocable, mais je n’ai pas la force d’argumenter. Il tente de se montrer le moins dur possible mais la sentence est terrible. Je ne réalise pas vraiment, je suis comme anesthésiée.

Nous rejoignons la salle à manger pour le dîner. Avec la présence des maîtres d’hôtel, la conversation devient presque banale. Nous allons nous coucher, chacun dans une chambre différente. Cela ne nous était jamais arrivé. Cette fois, il veut marquer la fin. Ma nuit est agitée de cauchemars et d’hallucinations, sous l’effet des médicaments. Je me réveille en sursaut, convaincue que quelqu’un est dans la pièce. Je pense à François ouvrant ses bras à une autre femme. Qui a fait le premier pas ? Que lui a-t-il dit de nous ? Que cherchait-il chez elle que je ne peux pas lui donner ? Les images me blessent, je les repousse, mais elles remontent, encore et encore. Elles m’étouffent et je m’étrangle dans mes sanglots.

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